«Faire rouler un train sous la mer était un projet fou»


30 ANS D’EUROSTAR – À l’approche de l’anniversaire de la compagnie, en novembre, Le Figaro vous dévoile les coulisses à travers une série. Dans ce deuxième épisode, les confessions de deux conducteurs, dont celui qui a piloté le train inaugural en 1994.

Nigel Brown, conducteur aujourd’hui à la retraite, a eu le privilège de conduire l’Eurostar inaugural le 6 mai 1994, quelques mois avant que la compagnie ne transporte ses premiers passagers. Christiane Mariani, après plus de vingt ans de carrière en tant qu’hôtesse, cheffe de bord et formatrice, est devenue conductrice en 2023. Tous deux racontent leur évolution au sein de la compagnie qui fêtera ses 30 ans le 14 novembre.

Christiane Mariani, conductrice du train sous la Manche depuis 2023
Photo presse

LE FIGARO VOYAGE. – Quel souvenir gardez-vous de vos débuts chez Eurostar ?

Nigel BROWN. – J’ai commencé à travailler chez Eurostar en 1991 alors que le tunnel sous la Manche n’était pas encore achevé. C’était une grande aventure. L’idée de conduire un train sous la mer, c’était du jamais-vu à l’époque. Personne ne savait si un projet aussi fou allait aboutir, ni si nos trains allaient rencontrer leur public. Pendant trois ans, lors des phases d’essai, j’ai dû m’habituer à une nouvelle technologie, apprendre les réglementations ferroviaires françaises et belges et surtout les règles de sécurité très strictes propres au tunnel. Le plus difficile pour moi n’a pas été l’aspect technique… mais l’apprentissage du français ! Les conducteurs doivent en effet pouvoir communiquer dans la langue des pays traversés. C’est ainsi que j’ai réalisé plusieurs séjours linguistiques dans des familles d’accueil à Yvetot, Aulnoye et Lille.

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Christine MARIANI. – Je me souviens des photos et reportages sur sa construction et l’ouverture du tunnel. La poignée de mains et l’échange de drapeaux sous la Manche avaient pour moi la même symbolique que la chute du mur de Berlin. À la fin des années 1990, je prenais de temps en temps l’Eurostar car j’étudiais au Royaume-Uni. Je n’étais pas vraiment une passionnée de ferroviaire, je suis tombée dans le milieu par hasard en intégrant la compagnie en tant qu’hôtesse à l’âge de 24 ans.

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Un équipage Eurostar en 1994 dans la gare de Londres-Waterloo, terminus des trains transmanche jusqu’en 2007.
Eurostar

Quel est le souvenir le plus marquant de votre carrière ?

Nigel BROWN. – Le 6 mai 1994 fut une journée particulièrement mémorable. J’ai eu l’honneur d’être choisi pour conduire le train inaugural côté britannique entre Londres et Calais, tandis que dans le même temps, mon collègue Francis conduisait le premier train côté français entre Paris et Calais. Un événement symbolique qui a rapproché géographiquement et je dirais aussi spirituellement le Royaume-Uni et l’Europe continentale. C’était le début d’une nouvelle ère qui, malheureusement, s’est terminée en 2016 avec le Brexit. La reine Elizabeth et le président Mitterrand faisaient partie de mes passagers. Je me souviens que le prince Philip a regardé l’avant du train et m’a demandé : «Vous ne l’avez pas endommagé ?»

Christine MARIANI. – Sans aucun doute le premier jour où j’ai transporté des passagers en tant que conductrice, en 2023. Moi qui avais toujours été au contact avec les clients, je me retrouvais désormais seule aux commandes d’un train avec 800 voyageurs derrière moi ! C’était l’aboutissement d’une vingtaine d’années de carrière commencée en tant qu’hôtesse, puis cheffe de bord et enfin formatrice de chefs de bord. En me formant à la conduite des trains, je ne partais pas de zéro. En tant que cheffe de bord, j’étais déjà habilitée à la conduite. Je devais compléter mes acquis par une formation de neuf mois afin de devenir conductrice internationale.

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L’autre événement marquant fut le changement de gare à Londres, le 14 novembre 2007. Du jour au lendemain, nous sommes passés de la gare de Waterloo à celle de St Pancras. Il a fallu s’adapter à un nouvel environnement et s’habituer à un nouveau quartier. Ce fut un tournant à la fois pour le personnel mais aussi pour les passagers. Ce changement coïncidait avec l’ouverture de la ligne à grande vitesse britannique, la HS1, qui a réduit le temps de trajet d’un Paris-Londres à 2 heures et 15 minutes.

Elizabeth II accueillie par François Mitterrand pour l’inauguration du tunnel sous la Manche le 6 mai 1994.
JACQUES DEMARTHON / AFP

Comment Eurostar a changé la manière de voyager en train ?

Nigel BROWN. – Avant 1994, à moins de prendre l’avion, il fallait presque une journée entière pour relier Londres à Paris. Au XXe siècle, il a existé un service haut de gamme, le Golden Arrow (Flèche d’Or), combinant train et ferry. Mon grand-père conduisait d’ailleurs ces trains au Royaume-Uni. Ce service a perduré jusqu’aux années 1970 mais n’a pas résisté à la démocratisation du transport aérien. Le tunnel sous la Manche a tout changé en intégrant le réseau britannique au vaste réseau européen. La grande vitesse a rendu le train plus compétitif que l’avion, permettant une liaison de centre-ville à centre-ville en 3 heures, puis en 2 heures et 15 minutes à partir de 2007. Aujourd’hui, Eurostar est le réflexe naturel pour relier Paris à Londres ou Londres à Bruxelles.

Christine MARIANI. – Eurostar a redynamisé le transport ferroviaire à l’époque où le low-cost aérien commençait à émerger en Europe. C’était un pari risqué mais réussi : le train est le moyen le plus rapide et le plus écologique pour relier les capitales entre elles, le tout sans (presque) se rendre compte que l’on traverse des frontières. Le Paris-Londres en train est devenu un incontournable pour les touristes américains ou asiatiques qui réalisent un tour d’Europe. Les inconditionnels de la classe affaires retrouvent dans nos trains une expérience inspirée de l’aérien avec, pour les voyageurs de la Business, l’accès au lounge, la file prioritaire ou le repas servi à la place.

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