Fécamp plutôt qu’Étretat, Taipei plutôt que Séoul… d’où sortent les «dupes» voyage, ces supposés bons plans ?
DÉCRYPTAGE – Le phénomène des destinations dupes, plus abordables et parfois plus proches, inonde les réseaux sociaux. Véritable tendance de voyage ou énième concept marketing ?
Elle a envahi nos feeds TikTok et nos Reels Instagram. Tour à tour présentée comme l’une des grandes tendances voyage 2024 et l’ultime bon plan, la « destination dupe » inonde les réseaux sociaux. Sur TikTok, ce sont 41,1 millions de publications qui sont rassemblées sous le hashtag #Travel (993.400 sous son équivalent français, le hashtag #Voyage), et 204.600 sous le hashtag #Dupe. Avec la « destination dupe », on propose une alternative à une première idée de lieu de vacances, moins coûteuse et moins lointaine – plus économique et souvent moins impactante pour l’environnement, donc. Les deux lieux ont des caractéristiques communes : leurs paysages sont semblables et l’expérience touristique est censée être similaire.
Et depuis la naissance du dupe voyage (dérivé en anglais de « duplicate », une copie), les comparaisons entre destinations fleurissent. Certains proposent de partir à Taïpei plutôt qu’à Séoul. D’autres substituent à Londres Liverpool, à Lisbonne Palerme, à Perth Sydney ou à Memphis Nashville. Et la France a elle aussi ses dupes avec, par exemple, Fécamp pour Etretat ou le lac Genin (Ain) pour les paysages canadiens. Mais peut-on véritablement remplacer une destination par une autre ? Et cette tendance née sur les réseaux sociaux a-t-elle réellement un impact sur les destinations de voyage plébiscitées ?
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Sortir des sentiers battus
D’après une étude réalisée par OnePoll pour Expedia, en 2024, plus d’un tiers des voyageurs français ont réservé une destination dupe car elle serait moins bondée (48%) et plus inhabituelle (40%). « Il y a un véritable engouement pour des destinations différentes de ce que tout le monde connaît déjà, hors des sentiers battus. Et ce, avec un confort de visite plus grand : la foule peut vraiment gâcher le plaisir lors de la découverte d’un paysage », décode Xavier Rousselou, porte-parole d’Expedia. D’après lui, les recherches concernant Palerme, présentée par le groupe Expedia comme un dupe de Lisbonne, ont augmenté de 89% en 2023.
Bruno Maltor, influenceur voyage et fondateur du blog Votre tour du monde, perçoit chez sa communauté un certain enthousiasme pour un tourisme alternatif : « C’est la recherche de quelque chose de moins fréquenté, de plus caché, et donc peut-être de plus authentique ». Dans certaines de ses vidéos, il propose d’ailleurs des alternatives à des lieux victimes de surtourisme. « Pendant mon voyage au Japon, j’ai fait un Reel sur Instagram où je proposais des lieux de substitution à ceux vus dans les guides et partout sur les réseaux. Il y a eu plus de 90.000 likes et des dizaines de milliers d’enregistrements ». Preuve que la notion de destination dupe séduit les utilisateurs.
Et qui plus est sur le long terme. Si la plupart des tendances des réseaux sociaux ont une durée de vie de deux à trois semaines environ avant de décroître, les dupes voyage semblent avoir trouvé une place plus pérenne, en toile de fond depuis plusieurs mois. Rien d’étonnant pour Myriam Roche, fondatrice de Tendanciales, plateforme qui répertorie les tendances sur les réseaux sociaux. « Les destinations dupes se basent sur une tendance de fond devenue mainstream il y a plusieurs années déjà : les dupes étaient, à l’origine, utilisés dans la mode et les produits de beauté » rappelle-t-elle. C’est l’association de ce terme à celui du voyage qui est nouvelle, donnant l’impression de quelque chose d’inédit. Et, « avant, en voyage, on parlait de bon plan. Avec les dupes, le bon plan, ce sont d’autres villes. C’est le storytelling qui a changé », explique-t-elle encore. Mais le concept reste le même : faire des économies – en temps d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat.
Du neuf avec du vieux
Mais qui dit tendance en ligne ne dit pas nécessairement tendance voyage. Impossible de savoir si un voyageur a choisi une destination plutôt qu’une autre pour son moindre coût, sa plus grande proximité, son absence de surtourisme ou pour sortir des sentiers battus. Impossible, aussi, de suivre le parcours d’un utilisateur après qu’il a vu une vidéo sur le sujet. « On ne peut donc pas savoir si la tendance a véritablement entraîné des séjours dans des destinations dupes », résume Myriam Roche. D’ailleurs, Expedia ne communique pas sur des chiffres de réservation après des recherches sur une destination. Xavier Rousselou souligne tout de même l’existence d’une « corrélation entre recherche et vente », reconnaissant que les proportions peuvent être différentes.
Et si le concept a de quoi plaire, il reste difficile de substituer une destination à une autre. Cyril Attias, fondateur et directeur général d’ADMS.PARIS, agence spécialisée dans le marketing et l’influence, est dubitatif : « Parfois, les dupes n’ont rien à voir avec la destination qu’ils sont censés remplacer. On a, par exemple, vu des vidéos qui proposaient d’aller à Québec plutôt qu’à Genève. Et certaines destinations dupes ne sont pas si originales que cela ». Pour lui, les acteurs du voyage ayant communiqué sur le sujet ont avant tout « récupéré et marketé » une tendance née sur les réseaux sociaux.
Du reste, l’envie de voyager plus durablement et de sortir des sentiers battus ne date pas d’hier. « Je pense que c’est une tendance qui existe depuis l’après-covid, mais qui n’est pas nouvelle en soi » analyse Bruno Maltor. Les destinations dupes ont tout de même le mérite de traduire, une nouvelle fois, la prise de conscience générale sur la nécessité de changer – ou, du moins, de réfléchir – les modes de voyage.