Au Japon, l’art de plus en plus délicat de prévoir la floraison des cerisiers
Baptisée hanami, la saison de floraison des cerisiers est un moment sacré pour les Japonais et un aimant à touristes. Mais les dates pour observer les sakura dans leurs habits rose pâle sont de plus en plus précoces.
À Tokyo, aux côtés des pruniers qui tendent vers le ciel leurs branchages piquetés d’odorantes fleurettes, les bourgeons des sakura, désormais dodus, laissent entrevoir par endroits le bout de leurs pétales. Leur éclosion est imminente. Malgré la neige qui a tapissé les trottoirs de la capitale japonaise plus tôt cette semaine, la vague rose est sur le point de répandre ses tons pastel sur tout l’archipel.
Selon l’Agence météorologique japonaise, elle a débuté le jour même du printemps à Uwajima, dans la préfecture d’Ehime située au nord-ouest de l’île de Shikoku, la plus petite des quatre îles principales du pays. À Tokyo, les cerisiers sont en fleur en ce début de semaine pour atteindre leur pleine floraison le 29, selon tenki.jp, où l’agence publie, entre autres, ses prévisions.
Les «records» de 2020 et 2021
Dans la capitale, on ne battra pas les records atteints en 2020 et 2021, puis en 2023 – les premières fleurs avaient été aperçues le 14 mars –, une vague de froid en février aurait ralenti l’épanouissement des bourgeons, selon l’agence météo. En revanche, les fleurs de cerisier devraient surgir bien plus tôt dans le nord du Japon, où les températures moyennes saisonnières ont été plus élevées cette année.
« La période de floraison, qui a lieu traditionnellement entre la toute fin du mois de mars et le début avril s’est déplacée progressivement vers la fin du mois de mars au cours des dernières années, observe Anika Ogusu, jardinière-paysagiste installée à Tokyo depuis dix ans.
Un pèlerinage pour les Japonais
Chaque année, scruter l’apparition des premières fleurs de somei yoshino, la variété de cerisier la plus populaire, est un rituel. Annonciateur du printemps, symbole de l’éphémère et de ses charmes (il fleurit environ 3 semaines), l’arbre bien-aimé des Japonais fait même l’objet de pointues observations de la part de l’Agence météorologique japonaise.
Celle-ci annonce dès janvier une première date de floraison puis affine de semaine et semaine ses estimations… suivies de très près, car elles annoncent le début de la saison tant attendue du hanami, une coutume qui se développe au Japon à l’époque d’Edo, et consiste à aller admirer les cerisiers en fleur, en balade ou en pique-nique.
Arbre-repère
Or, depuis le début des années 1950, période à laquelle on commence à enregistrer le début de la floraison, « elle est de plus en plus précoce, à raison de 1,2 jour par décennie », selon Daisuke Sasano, en charge de la gestion des risques climatiques, à l’Agence météorologique japonaise.
Un indicateur du réchauffement climatique que connaît l’archipel, estime le spécialiste : « la température moyenne annuelle au Japon a augmenté de 1,3 degré Celsius en un siècle, et le nombre annuel de jours avec des températures maximales de 35°C ou plus a augmenté de manière significative depuis le milieu des années 1990. Ils devraient s’accroître d’ici la fin du XXIe siècle ».
Pruniers, érables et ginkgos
Avec les pruniers, les érables et les ginkgos, le cerisier fait partie des arbres « repères » que les scientifiques observent pour suivre l’évolution du climat. Dans les villes pourvues de moins en moins d’espaces verts, mais de tours de plus en plus hautes, les arbres sont particulièrement affectés par ses aléas : « à Tokyo, les températures ont augmenté de plus de 3 degrés en un siècle, bien plus que dans d’autres régions moins urbanisées ».
Bouleversé par le changement climatique, l’actuel tempo des sakura chamboule les coutumes : « autrefois, la floraison des sakura avait lieu pendant les cérémonies d’entrée à l’école, on les associait au renouveau », remarque le spécialiste, l’année scolaire débutant traditionnellement le 1er avril, « mais aujourd’hui ma fille, qui a 15 ans, les associe davantage à la cérémonie de remise des diplômes ». Et met encore plus au défi ceux qui dédient un voyage au Japon aux cerisiers en fleur : l’an dernier, les bourgeons ont éclos à Tokyo le 29 mars seulement. La floraison, qui avait pourtant été annoncée pour le 22 mars, fut la plus tardive de ces dix dernières années.
En vidéo – 2020, 2021, 2023… Ces années où la floraison des cerisiers est très précoce