dans les refuges de montagne, les incivilités se multiplient
Alors que la période de gardiennage s’ouvre dans les refuges de montagne, les professionnels déplorent les incivilités. Exemples dans les Pyrénées, au refuge de la Brèche de Roland.
En montagne, les marcheurs viennent chercher quelque chose de bien particulier, d’unique : l’ivresse d’une nature authentique. Et pour la vivre à fond, dormir en refuge séduit un nombre croissant de visiteurs, bien au-delà du cercle d’origine de randonneurs chevronnés, alpinistes, skieurs de randonnée… L’an passé, la Fédération française des clubs alpins de Montagne (FFCAM), qui gère 120 établissements dans les massifs (40% du parc) a enregistré 315 000 nuitées, un niveau toujours record. Mais cet attrait grandissant a un revers. La montagne est à son tour rattrapée par les incivilités avec, aux premières loges et en spectateurs parfois impuissants, les gardiens de refuge.
Perché à plus de 2500 mètres d’altitude dans le magnifique décor du Cirque de Gavarnie classé patrimoine de l’UNESCO, le refuge de la Brèche de Roland en est un bon exemple. Cet établissement mythique qui sera gardienné à partir du 20 juin cette année a rouvert ses portes en 2021 après la construction d’une extension, les déboires se multiplient. Les bénévoles qui l’entretiennent, s’usent psychologiquement et tentent de trouver des solutions.
P. Charbonneau
Bouteilles remplies d’urine
Lorsque Vivien Horcholle, gardien du refuge de la Brèche de Roland, et une poignée de bénévoles sont montés au refuge mi-mai pour la mise en place, ils n’en croyaient pas leurs yeux. Comment peut-on commettre autant d’incivilités ? «Nous avons trouvé des bouteilles remplies d’urine, des excréments sur la terrasse, ils sont même allés jusqu’à défoncer des cloisons à la recherche de canalisations d’eau», s’étonne encore Vivien Horcholle.
Les refuges de la FFCAM répondent à leur vocation première définie par le code du tourisme : accueillir du public en toute saison. Si la plupart ne sont pas gardiennés pendant la saison hivernale, ils doivent rester accessibles comme lieu de repli pour les skieurs de randonnée, alpinistes… C’est là que le bât blesse. Plutôt que de se réjouir de trouver un abri, certains «montagnards» semblent manquer de respect.
«La facilité serait de dire que depuis le Covid, la montagne est à la mode et qu’elle se démocratise»
Florent Roussy, conducteur d’opérations à la FFACM (Fédération Française des Clubs Alpins de Montagne), n’est pas tout à fait de cet avis : «Étonnamment, le montagnard n’est pas l’être le plus respectueux ! Les incivilités ont toujours existé, ce n’est pas nouveau. Sans cesse, on rabâche les mêmes discours. Certains bâtiments souffrent plus que d’autres comme le refuge de la Brèche de Roland, d’autres moins. On a du mal à comprendre pourquoi celui-ci en particulier !»
Ce refuge est principalement fréquenté en hiver par des skieurs et alpinistes espagnols, étant plus difficilement accessible côté français car trop avalancheux. «Est-ce le fait d’être dans un pays voisin qui incite à se permettre toutes les libertés ou bien sont-ils tellement transis de froid qu’ils en perdent le bon sens?», s’interroge le professionnel.
Même son de cloche au refuge des Espuguettes également niché dans le Cirque de Gavarnie. Il est en revanche facilement accessible côté français, à peine deux heures trente en raquettes depuis le parking. Pierre Casteigbou, son gardien, qui entame sa 18e saison, voit plutôt une démocratisation de la montagne avec une population plus fêtarde que montagnarde. «Ils aiment venir faire la fête le week-end et me laissent leurs bouteilles en souvenir pensant que je vais en faire des chandeliers. Je remarque que c’est plus la clientèle de fin d’hiver quand le temps est plus clément, que celle des alpinistes du plein hiver.»
La saison dernière, ils lui ont cassé entre autres des lavabos et des miroirs de salles de bain, qui lui ont coûté 5000 € de réparation pris en charge par son assurance professionnelle moins la franchise de 800 €. Il loue le refuge au Parc National des Pyrénées, qui en est le propriétaire.
Comme Pierre, le Club Alpin Français, qui gère près de la moitié des refuges, cherche des solutions. « Depuis la réouverture du refuge de la Brèche de Roland, nous avons tout essayé. Le premier hiver, nous avons laissé l’accès à deux dortoirs, mais les visiteurs y ont cuisiné. Le second, nous avons ouvert la salle commune avec des toilettes sèches, mais ils ont cassé le mobilier pour faire du feu et se chauffer. Nous envisageons désormais une solution plus radicale : ne laisser accessible que la cave située sous la terrasse », déplore Florent Roussy.
La solution viendrait peut-être d’une meilleure coopération entre les deux pays, afin d’envoyer des brigades de nettoyage pendant l’hiver, comme cela se fait déjà dans les refuges d’Andorre.