En Bretagne, les secrets de la Côte de Granit Rose


C’est l’un des plus beaux paysages du littoral français. De Trébeurden à Paimpol en passant par l’île de Bréhat, l’austère granit s’empourpre et la côte bretonne se fait dentelle. Les pêcheurs d’Islande ont longtemps survécu sur cette terre à la fois âpre et riante, qui ne cesse de séduire les peintres, les écrivains et les célébrités.

C’est un manoir accroché à la falaise, qui évoque une proue de navire au-dessus des flots. Une villa 1900 tout en granit et bow-windows, où la mer semble s’inviter jusqu’au fond des chambres. Le groupe Fontenille Collection a rénové de main de maître l’ancien hôtel Sphinx pour en faire Les Bassans, un de ces établissements hôteliers élégants et cosy, pensés comme une maison de vacances, le service en plus.

Les chaînes d’angle en granit rose, la mosaïque aux fous de Bassan (clin d’œil à ceux de la réserve naturelle des Sept-Îles qu’on aperçoit au large), la mer aux teintes bleu-vert renouvelées sans fin par le jeu du soleil et des nuages, nous donnent un indice : nous sommes à Perros-Guirec, sur la Côte de Granit Rose, l’une des plus belles portions de Bretagne et du littoral français. Un royaume de pierre que les éléments ont érodé patiemment jusqu’à former le paysage spectaculaire d’aujourd’hui.

Quartz, feldspath et mica

La Côte de Granit Rose, dans les Cotes-d’Armor.
Le Figaro

« Le granit rose est une mosaïque faite de quartz, de feldspath et de mica qui remonte à 300 millions d’années. Ces grosses boules que vous voyez là se sont formées dans le sous-sol il y a 10 millions d’années et ont été patiemment dégagées par la mer. Il y en a d’autres sous nos pieds, qui attendent leur tour ! » À Ploumanac’h, la géologue Odile Guérin est chez elle. Nul mieux qu’elle ne sait dire l’histoire de ces formidables boules rondes et fendues qui parsèment les pointes et les plages de ce secteur d’à peine 15 kilomètres de long, entre Trébeurden et Perros-Guirec. Au couchant, les rochers sculptés prennent des teintes rose vif. On les croirait modelés par les mains que quelque géant de légende celtique.

À Ploumanac’h, un phare émerge de ce chaos pittoresque. À Port-Blanc, c’est un oratoire juché sur le rocher de la Sentinelle. Les nombreux visiteurs ont l’habitude de photographier ces curiosités depuis le GR34, dit sentier des douaniers, créé à l’origine en 1791 pour empêcher toute contrebande. Le sentier de randonnée suit le rivage tortueux jusqu’au dernier chaos de granit rose, sur l’île Milliau à laquelle on accède à marée basse depuis Trébeurden. Au bout du chemin bordé de fougères, d’ajoncs et de pins, trois gîtes rustiques pour jouer aux Robinson sur l’île. Au loin, des îlots déchiquetés s’éparpillent dans la mer. À l’horizon, le soleil enflamme les nuages. C’est fait, la Côte de Granit rose vous a jeté son sort.

Les «boules rondes» si particulières se trouvent dans un secteur d’à peine 15 kilomètres de long, entre Trébeurden et Perros-Guirec
Jérémy Garamond

Installé à Trébeurden, l’écrivain Hervé Hamon, qui a sillonné les mers du monde en voilier, observe avec malice l’engouement des visiteurs pour cette côte dont il ne s’éloigne jamais très longtemps. Paimpol ? « Un port à crêpes. » Ploumanac’h ? « Victime du surtourisme. » Bréhat ? « Les marcheurs avec leurs sacs à dos y sont vécus comme un mal plus ou moins évitable, et comme un réservoir de monnaie qu’il s’agit de vider prestement », raille-t-il.

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Mais il ne lui faut pas longtemps avant d’adoucir ses mots. « Bréhat est absolument magnifique… et encore plus vue d’un bateau. Buguélès est un rêve de photographe avec sa douzaine d’îles et de lagunes. Mais le plus beau, c’est encore Plougrescant. Les cartes marines parlaient autrefois de l’“Infern Plougouskant” en raison des innombrables écueils qui parsèment la mer, si hauts qu’ils semblent des chevaliers en armure. » Qui ne voudrait aussitôt courir voir ce gouffre de Plougrescant ? « Attention, c’est devenu un must touristique », nous prévient Hervé Hamon.

Dans l’enfer de Plougrescant 

L’eau turquoise borde le sable de la Grève Blanche, à Trégastel.
Jérémy Garamond

Certes, on est rarement seul au gouffre de Plougrescant, dont Odile Guérin nous apprend le grand âge : 600 millions d’années. Par gros temps, les flots enragent dans cette baie infernale où plus aucun bateau ne s’aventure. Une armée de tors et de récifs subissent les assauts de la mer. Coincée entre deux rochers fendillés, une maisonnette semble s’abriter de la tempête comme une enfant. L’image est si insolite qu’elle est devenue virale bien avant les réseaux sociaux.

Hervé Hamon confesse ne venir à Plougrescant qu’en hiver « quand la mer s’ébroue », et au printemps « quand le parfum sucré des genêts nous saoule ». Quelle que soit la saison, un rayon de soleil suffit de toute façon à repeindre la mer en turquoise. Magie de cette Manche bretonne, qui devient mer des Caraïbes ou lagon polynésien. « Mais quand il tempête ici, c’est le cap Horn ! Les rochers bougent, la mer est blanche ! », sourit Guirec Soudée. Cet aventurier trentenaire nous embarque en canot sur l’île familiale d’Yvinec où il a grandi, non loin de Plougrescant. Une maison de granit dispute l’île aux oiseaux.

Pêche aux ormeaux

Souvenirs d’une « enfance pieds nus, été comme hiver », à arpenter la lande battue par les vents, à naviguer seul sur l’eau dès l’âge de 7 ans, entre les courants et les rochers. De quoi s’aguerrir plus vite que la moyenne. À 21 ans, le Breton partira faire le tour du monde à la voile, accompagné de sa poule Monique. Succès médiatique. Puis ce sera la traversée de l’Atlantique à la rame aller-retour, et le Vendée Globe qu’il a terminé en février dernier. « Des infidélités à mon caillou… », glisse-t-il en évoquant ses aventures.

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Le marin trentenaire prépare un tour du monde à l’envers, contre les vents et les courants, avec l’objectif de faire tomber le record de Jean-Luc Van Den Heede (122 jours). Et Yvinec, là-dedans ? Elle demeure son refuge. Parfois des phoques et des dauphins passent. Les pêches aux ormeaux, aux coques, aux palourdes sont mirobolantes. « Mon plus gros homard, je l’ai pêché ici. » Façon de dire que dans son cœur, tous les bouts du monde ne sont pas près de venir détrôner son caillou breton.

Parfois, les rochers s’écartent et la côte s’ouvre en deux comme une bouche immense. C’est le pays des estuaires. Celui du Jaudy remonte jusqu’à Tréguier, la ravissante capitale du Trégor. Ici, les armateurs d’autrefois ont laissé quelques belles maisons en granit et à pans de bois. Dans l’une d’elles naquit Ernest Renan, génie des lettres dont la Vie de Jésus scandalisa l’Église en son temps. Pas de quoi perturber le bon saint Yves, le saint patron des Bretons, qui repose sous son dais de marbre, dans la cathédrale Saint-Tugdual.

Bouquet de glycines

La Bretagne en majesté à la pointe de de Bilfot.
Jérémy Garamond

Il ne faut pas manquer le superbe cloître de style gothique flamboyant, pas plus que les jardins de Kerdalo, au bord du Jaudy. Merveille que ces jardins anglais conçus par le prince russe Peter Wolkonsky, et désormais propriété du chausseur Christian Louboutin. Dans le petit vallon touffu se succèdent bassins, terrasses en escaliers, grotte italienne. Des bouquets de glycines et de rhododendrons s’agitent, des rhubarbes géantes forment une jungle… Un jardin d’Éden après l’enfer de Plougrescant.

Plus à l’Est, l’estuaire du Trieux s’enfonce encore plus loin dans les terres. Henri Rivière a immortalisé ses berges dans son délicieux style japonisant. Georges Brassens y a coulé des jours heureux dans sa maison « Ker Flandry », à Lézardrieux. Le fleuve côtier, qui sépare le Trégor du Goëlo, s’enroule au pied du château de La Roche Jagu, perché sur son éperon rocheux. Les 21 cheminées en forme de couronne disent assez la puissance du seigneur des lieux, ou du moins la haute idée qu’il se faisait de sa personne.

L’épopée des Islandais 

Mais c’est encore dans le parc qu’on se plaît le plus à musarder, ne serait-ce que pour admirer l’incroyable rosier grimpant qui couvre toute une falaise au pied d’une palmeraie. Le Trieux nous conduit encore à Pontrieux, joli port somnolent qui égrène ses lavoirs le long de la rivière. Non loin de là, une étrange ruine circulaire en granit rose, le temple de Lanleff, fit longtemps penser à un mystérieux édifice gallo-romain. Il s’agit en fait d’une église romane dédiée à la Vierge, ce qui n’empêche pas les interprétations ésotériques de perdurer. En Bretagne, les légendes sont tenaces…

L’épopée des Islandais, elle, ne relève pas du mythe. Dans Pêcheur d’Islande, paru en 1886, Pierre Loti a dépeint la vie des marins qui partaient de longs mois pêcher sur les bancs de morue, au large de l’Islande. Les goélettes remplissaient si bien le port de Paimpol qu’on pouvait traverser celui-ci d’un quai à l’autre sans se mouiller les pieds. La cité a conservé de belles demeures de granit, et même le balcon où la belle Gaud du roman de Loti attendait le retour du grand Yann.

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Bréhat, l’île jardin 

Le château de Costaérès, près de Tregastel.
Jérémy Garamond

Et si l’écrivain a quelque peu romancé la réalité, il suffit de se rendre à la croix des Veuves, à la pointe de l’Arcouest, pour mieux comprendre. Ici, à la fin de l’été, les femmes de pêcheurs venaient, comme Gaud, guetter le retour de leurs hommes lorsque leurs bateaux tardaient à rentrer. Ceux qui ne revenaient pas avaient le droit à des « mémoires », ainsi qu’on appelle les plaques des disparus en mer. Les plus émouvantes couvrent le porche de la chapelle Perros-Hamon et le mur des Disparus en mer de Ploubazlanec. Litanie de noms d’hommes d’équipage que la mer engloutissait par dizaines, d’une bouchée, dans les brumes de la lointaine Islande.

Au nord de la pointe de l’Arcouest, Bréhat nous ramène au paradis. L’« île aux fleurs » n’usurpe pas sa réputation. Agaves, agapanthes, camélias, mimosas, arums, vipérines, mais aussi palmiers, eucalyptus… Des murets de pierre protègent les jardins clos pelotonnés les uns contre les autres. Des criques baignées d’eau bleu cyan et semées d’écueils, bordées de pins en ombre chinoise posent pour la photo. Mais en remontant vers la pointe nord, les maisons s’espacent puis disparaissent, la nature se fait rase, puis minérale.

Le phare du Paon affronte, seul sur sa pointe de granit rose, la mer d’un bleu dur, qui moutonne et explose en grandes gerbes d’écume. Ici, les rochers de granit rose sont crevassés à souhait. C’est pour lutter contre un projet d’exploitation de ce granit, qui aurait menacé l’intégrité de ses paysages, que l’île de Bréhat fut le premier site de France classé site naturel protégé en 1907. Et depuis cent ans, sur cette côte bretonne qui en a fait son or rose, seuls la mer et le vent ont le droit de travailler le granit…


SE RENSEIGNER

Auprès de Côtes-d’Armor Tourisme (Cotesdarmor.com).

Y ALLER

SNCF (Sncf-connect.com) assure des trajets quotidiens entre Paris et Lannion (minimum 3 h 12 de trajet). À partir de 75 € l’A/R.

LIRE

Dictionnaire amoureux des îles, Hervé Hamon (Plon).

Pêcheur d’Islande, Pierre Loti (Livre de poche)



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