la Tunisie en tête, les États-Unis boudés… Ce que disent les choix des Français
DÉCRYPTAGE. L’envie de voyage reste intacte mais la période d’été s’ouvre avec de nombreuses incertitudes, selon les tour-opérateurs. En 2025, le secteur s’étire parfois aux antipodes, entre engouement pour le «sur-mesure» et montée en flèche des destinations «économiques».
Hiver comme été, l’envie de voyager des Français se confirme cette année encore. Mais, après un dernier exercice euphorique pour le secteur du voyage organisé, le moteur ralentit nettement. «La période hivernale montre une stabilité des commandes, la période d’été reste incertaine, avec une légère hausse des réservations, mais de nombreuses incertitudes et une conjoncture qui appelle à la prudence», expose Patrice Caradec, dirigeant d’Alpitour et nouveau président du Syndicat des Entreprises du Tour Operating, le SETO. Lequel présentait son baromètre annuel ce vendredi 20 juin, synthèse de l’activité d’une partie de ses 78 membres (Voyageurs du Monde, Fram, Marco Vasco, Club Med…).
Les voyagistes ont bien sûr en tête le conflit entre Israël et l’Iran qui déchire le Proche et Moyen-Orient. Mais l’atonie économique, en toile de fond, et des aléas comme le net repli des voyages aux États-Unis (-14% pour cet été) continuent de remodeler un marché qui s’étire aux extrêmes. « Il se clive notamment selon une logique économique, diagnostique Alain Capestan, directeur général du groupe Voyageurs du Monde. D’un côté on voit une forte hausse de la demande pour la Polynésie, qui illustre l’envie de sur-mesure pour une clientèle qui en a les moyens. De l’autre côté, on voit la montée en puissance de destinations à coût plus faible comme la Tunisie ou le Sénégal.»
Départs cet été : habitudes et incertitudes
Les chiffres peuvent sembler encourageants. Sur la période d’été (1er mai au 31 octobre), le nombre de clients des agences de voyages était à fin avril en hausse de 1,4%, particulièrement sur les destinations moyen-courriers (+1,6%), dont bien sûr les pays du sud et leur littoral. Le chiffre d’affaires, lui, progresse de 2,9%, traduisant un panier moyen d’achat plus garni des Français. Mais pour cet été, « les réservations enregistrées à fin avril ne permettent pas de tirer de conclusions définitives. En effet, si le portefeuille des réservations est en légère progression, les ventes pour les départs vers l’Europe du sud, gros contributeur de la saison d’été, restent incomplètes», souligne le SETO.
Il reste donc à mesurer la réaction des consommateurs face à une actualité déprimante et un pouvoir d’achat en berne. Surtout quand les prix des billets flambent vers certaines destinations comme la Grèce. «Il ne faut pas croire que l’incertitude inciterait les consommateurs à reporter leurs dépenses sur la France, rappelle René-Marc Chikli, désormais ex-président du syndicat. Dans ce cas, ils se rapatrient sur le non-marchand comme l’hébergement dans sa famille ou chez des proches, et épargnent. Mais sitôt que les incertitudes se lèvent, le marché redémarre.»
En termes de destinations, le podium évolue donc sur le moyen-courrier. La Tunisie, destination «économique» par excellence, occupe désormais la deuxième place derrière les îles grecques (Crète et Rhodes en tête), avec un bond de 13%, détrônant les Baléares. Maroc (+12%) et Grèce continentale (-6%) suivent.
Côté long-courrier, l’île Maurice reste en tête et continue de progresser, devant les États-Unis en repli de 14%. «Le Canada progresse, lui, seulement de 1%, il ne constitue donc pas un marché de report», constatent à l’unisson les professionnels. L’Asie reste stable malgré un appétit moindre pour l’Indonésie (-6%) et le Japon (-5%). «L’Indonésie pâtit d’une hausse des tarifs et d’une perception de saturation touristique de destinations comme Bali, analyse Guillaume Linton,PDG du spécialiste Asia. En dernière minute la demande pour Bali reprend, mais cela ne compensera pas le retard à l’allumage».
Le cas du Japon, qui connaît un immense engouement et un yen au plus bas est différent. «L’Exposition Universelle d’Osaka ne plaît pas forcément aux clients, car c’est synonyme de forte augmentation des prix de l’hôtellerie et l’aérien reste cher. Il faut également rappeler que l’effet de base est élevé, l’exercice 2024 ayant été très bon», modère le patron d’Asia. «L’automne au Japon est très dynamique en termes de prise de commandes», complète Alain Capestan (Voyageurs du Monde).Sur le même continent, la remontée du Vietnam, par ailleurs, est notable (+41%). «Ce pays qui avait tardé à rouvrir au tourisme coche toutes les cases, culturelles notamment, prisées des Français», reprend Guillaume Linton.
La niche de la Polynésie
Voilà une destination dont le succès surprend même parfois les voyagistes. Au 30 avril, la demande pour la Polynésie bondissait de 16% pour la période s’étirant de mai à octobre. «Et ce type de voyage se réserve très longtemps à l’avance, nous avons actuellement des réservations pour 2027», étaye Caroline Marro, nouvelle directrice générale de Marco Vasco (groupe Le Figaro, NDLR), spécialiste de cette destination très lointaine et au budget plantureux. «Les clients qui peuvent se le permettre ont besoin de rêver et de se projeter longtemps à l’avance, et la Polynésie constitue parfois le voyage d’une vie», continue-t-elle.
Jordanie, Oman, vols allongés… Les conséquences multiples du conflit entre l’Iran et Israël
Un nouveau conflit qui éclate comme celui entre Israël et l’Iran, ce n’est pas seulement des envies de voyage mises sous le boisseau. C’est aussi, pour ceux qui décident finalement de s’envoler, deux séries de conséquences. La première, c’est bien sûr l’impossibilité d’accéder à certaines destinations. Au Proche et Moyen-Orient, la Jordanie, pourtant l’un des blockbusters des agences de voyages, est actuellement inaccessible. Le quai d’Orsay multiplie les mises en garde dans les régions et pays proches de la zone de conflit, par exemple le nord du Sinaï, en Égypte.
«Psychologiquement cela fait peur et peut décourager certains voyages alors que, par exemple, rien n’empêche de visiter les pyramides», regrette Patrick Abenin, dirigeant de Travel Tour. La destination Oman est également pénalisée par la situation géopolitique. L’autre grande conséquence, souligne Guillaume Linton (Asia), c’est de «rallonger les vols vers certaines destinations d’Asie». Pas idéal quand les voyageurs scrutent plus que jamais les prix.
Le dynamisme de la République dominicaine
La République dominicaine, poids lourd du tourisme dans les Caraïbes avec ses dizaines de milliers de lits touristiques reste bien présente dans le radar des touristes français (+4% de réservations pour la période mai octobre). Et ce, malgré un obstacle de poids : au printemps 2022, Air France avait stoppé la desserte de Punta Cana. La compagnie nationale rétropédale et a annoncé hier la reprise de ses vols au départ de Paris à partir d’octobre 2026. Ce qui devrait déclencher un appel d’air pour les plages caribéennes désormais fréquentées toute l’année et une destination qui fait office de «valeur refuge» quand le monde s’embrase.
L’imbroglio de la Tanzanie
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Une destination qui monte en flèche pour ses safaris mais aussi et surtout pour ses circuits qui aboutissent aux plages de rêve de Zanzibar. Malgré des capacités d’accueil encore insuffisantes au regard de la demande, la Tanzanie s’est depuis quelques années, imposée sur le radar des voyageurs français, y compris en été. Le pays d’Afrique de l’est se cale même au 6e rang des destinations réservées sur la période mai-octobre. Problème : toutes les compagnies aériennes tanzaniennes viennent d’être placées sur la liste noire de l’UE. Concrètement, impossible désormais pour les voyagistes de faire emprunter un vol intérieur à leurs clients, pour les transferts par exemple.
«En tant que professionnels, nous avons une responsabilité dans le cadre de la vente voyage à forfait et d’information de nos clients qui ont la possibilité d’annuler leur voyage », souligne le SETO. Une solution provisoire est dans les tuyaux de l’administration locale. «Ethiopian et Qatar Airways seraient sollicités pour assurer des lignes intérieures, mais seulement sur quelques aéroports.» Pis-aller ou vraie alternative ? La solution n’est pas pérenne. «On espère tous que les autorités du pays vont prendre conscience du problème», conjure un voyagiste.
Les Français boudent les États-Unis
«Make America Great Again», mais pas pour les touristes français. Le désamour pressenti dès mars pour une destination USA avec un président nommé Donald Trump se confirme dans les départs et les prises de commandes, parfois en chute libre. Pour cette seule période estivale, le nombre de réservations pour le pays de l’oncle Sam chute de 14%. Et ce n’est pas fini.
«Ces chiffres s’arrêtent au 30 avril, ils sont encore plus mauvais en mai de l’ordre de moins 30%, note Rose-Marie Farrugia, PDG de Cercle des Vacances. Les clients peuvent se rabattre vers les vols secs dont les prix baissent», poursuit la professionnelle, faisant allusion à la récente période de promotion des compagnies aériennes. Inédit.
Mais les prix sont revenus à des niveaux plus traditionnels. Et cela sera de toute façon insuffisant pour relancer la demande. «Les États-Unis sont bien plus que le seul New York ou les parcs nationaux, c’est un continent avec une offre très variée, réagit Jean-Emmanuel Chometon, directeur général des Maisons du Voyage (Groupe le Figaro, NDLR). Il n’y aura pas de report sur une seule destination mais sur plusieurs destinations en fonction des envies», pronostique-t-il. Le Canada (+1%) et le Mexique (-18% cet hiver) ne font visiblement pas partie des options privilégiées.