cap sur les plages de la côte baltique
GRAND REPORTAGE – Adossée d’un côté à l’Allemagne et, de l’autre, à l’exclave russe de Kaliningrad, la côte polonaise déroule des plages sauvages à l’infini comptant parmi les plus belles et méconnues d’Europe.
«En Pologne , c’est-à-dire nulle part », disait Alfred Jarry. Bordé par la Baltique, ce « nulle part » est un ailleurs méconnu, aux plages sauvages à perte de vue et baignées d’effluves de pins, de crèmes solaires et de harengs fumés. Loin de la Côte d’Azur fantasmée, le littoral polonais a gardé une authenticité simple et joyeuse. D’ouest en est, nous avons suivi les secrets du vent, longé la côte de près de 770 kilomètres, traversé des étendues désertes et des stations balnéaires aux noms imprononçables et au charme rétro. Le voyage commence à la descente d’avion, à Szczecin. L’architecture de cette ville portuaire éveille la curiosité – une place en étoile, une philharmonie dans un bâtiment en forme d’iceberg et un Centre des sciences marines dans une coque de bateau géante. Le temps manque, hélas. La première plage est à plus d’une heure trente de route, à Swinoujscie, sur l’île d’Uznam appelée Usedom par les Allemands. Les deux pays se partagent cette île depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les curieux passent d’ailleurs la frontière à vélo pour rejoindre Ahlbeck et Heringsdorf, les coquettes stations voisines aux airs de belles endormies. En plein été, elles s’éteignent à 21 heures. La vie balnéaire est plus animée du côté polonais, plus moderne aussi avec ses deux vaisseaux hôteliers posés près des flots, Hilton et Radisson Blu. Depuis le rooftop de ce dernier, la mer et la forêt s’offrent sans retenue au regard.
Au loin, le Parc national de Wolin (11.000 hectares) couvre le delta de la Swina aux dizaines d’îles marécageuses. C’est une Camargue du Nord où les bisons se cachent dans les bois. S’y ajoutent des collines morainiques et des falaises qui s’érodent. Le littoral perd ainsi plusieurs dizaines de centimètres par an. Pas un chat sur la plage, mais des aigles, ici chez eux. Plus de 230 espèces d’oiseaux fréquentent les lieux. Autre parc national, Slowinski. Andrzej Demczak, directeur adjoint des lieux, nous accompagne aux premières lueurs du jour. Il lit dans le sable comme d’autres dans les lignes de la main. « Ces traces sont celles d’un renard. Une vingtaine de loups vivent également dans le parc. » Nous avançons dans la forêt, les chaussures pleines de sable. Soudain, la majesté d’un désert, encadré par la Baltique d’un côté et le lac Lebsko de l’autre. La mer et le vent ont formé ces dunes mouvantes dont certaines ont déjà atteint 40 mètres de hauteur. « Elles peuvent se déplacer de 3 à 10 mètres par an. Nous en avons restreint l’accès : seuls 5 % demeurent accessibles afin de les protéger. » Imprégné de ces paysages depuis plus de vingt ans, Andrzej s’est découvert une âme de poète : « Parfois, la dune est poussiéreuse et vous envoie du sable dans les yeux / Cela arrive par vent fort / Et c’est alors que la dune chante. » La magie du souffle marin…
Ambiance singulière et bon enfant
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Entre les deux parcs se trouve la station balnéaire d’Ustka aux maisons à colombages et au style Belle Époque. Otto von Bismarck (1815-1898), ministre-président de Prusse puis chancelier d’Allemagne, y avait ses habi tudes. Depuis, la ville a cédé aux sirènes du tourisme. On passe donc par son inévitable Musée de l’ambre (Muzeum Bursztynu). Kamila Bednarz, visage encadré de dreadlocks telle la mythologique Méduse, anime des ateliers autour de la résine fossile. « Je vais parfois chercher de l’ambre après les tempêtes sur la plage. Avec de la chance, on peut en trouver, même si 90 % de la production mondiale se trouve à Kaliningrad. L’ambre blanc est le plus rare et le plus cher tout comme l’ambre noir que je préfère. » Pas de tempête en vue : la chasse à l’or jaune sera pour une autre fois. Une autre richesse s’offre à nous entre les pins, là où la mer et les langues d’eau s’embrassent délicatement. Est-ce un paysage de peinture romantique ? Presque. Ustka a une ambiance singulière et bon enfant. Sur la promenade, un groupe de musique joue des airs polonais après quelques fausses notes d’Elvis Presley. Le public se met immédiatement à danser. Ça sent les vacances et l’insouciance.
Même sentiment le lendemain, autour d’un pique-nique face à la Baltique organisé par l’hôtel 5 étoiles Palac Ciekocinko. Ce dwor (manoir) détruit par le temps et l’histoire fut restauré minutieusement, il y a plus de vingt ans, par son propriétaire Tomasz Baluk. « Cette région a longtemps pâti d’un manque d’investissements, dit-il. Les particuliers n’osaient pas rénover leurs maisons de peur du retour des Allemands. Puis il y eut des temps difficiles. Beaucoup de bâtiments ont été laissés à l’abandon dans les creux de l’histoire. » Celle-ci nous rappelle les frontières du pays qui n’ont eu de cesse de se déplacer, au fil des siècles. Le pays a même disparu de la carte à la fin du XVIIIe siècle, à la suite de son partage entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. Le traumatisme du régime nazi et de la Shoah, quant à lui, hante encore la mémoire du XXe siècle. De nouveaux contours du pays furent tracés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Polonais des confins orientaux – territoires de la Lituanie, de la Biélorussie ou de l’Ukraine, alors passés dans le giron de l’URSS – vinrent s’installer dans les maisons que les Allemands, installés depuis des générations, venaient de fuir.
Les anges des flots marins de Sopot
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Welcome to Hel ! Ne pas se fier à ce nom peu engageant phonétiquement. Cette péninsule de 34 kilomètres de long (de 300 mètres à 3 kilomètres de large) est un paradis aux plages sans fin et souvent désertes. Les windsurfers l’ont adopté côté mer ou côté baie de Puck. Une seule et unique route traverse cette langue de terre. L’enfer, s’il existe, est peut-être dans les embouteillages en très haute saison, en direction de Jastarnia (rendez-vous des branchés), de Jurata (ancienne Palm Beach des années 1930) ou encore de Hel (dernier point sur la carte). « Ce village est très singulier, avance Edmund Asare, spécialiste en IT, qui gère, l’été, le restaurant de sa mère décédée. C’est le point le plus extrême de la Pologne. On est à l’avant-poste et en même temps coupé du monde. » Il en sait quelque chose pour y avoir grandi à l’époque communiste. « J’ai appris à nager entre les barbelés de deux terrains militaires, littéralement. » Diable !
À Sopot, juste en face, des anges entrent dans les flots marins à l’ombre de la nuit. Il est 4h35 du matin et le groupe Morze Aniolow (The SEA of Angels) se retrouve, comme chaque jour, pour un bain au lever du soleil. Peu importe la saison (jusqu’à – 17 °C l’hiver !), le temps et l’heure. « Nous avons tous des raisons personnelles de venir. J’ai perdu mon mari il y a dix ans, et les anges sont une façon de renouer avec lui. Nos rencontres m’évoquent le film La Cité des anges, avec Meg Ryan et Nicolas Cage », avance Joanna S-Grzybowska, l’une des baigneuses les plus assidues. À ces rendez-vous, point de religion, de politique, de compétition ou de business, juste l’instant présent. Une façon, aussi, d’embellir la journée. Cette idée, lancée par Julia Laszkiewicz il y a six ans, va plus loin encore lors du grand rassemblement caritatif annuel du 1er juin réunissant des milliers de personnes. On reviendra l’année prochaine, promesse lancée.
Kilomètres de sable et de forêts de pins
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Mais déjà les anges se dispersent, laissant le vaste rivage vide, émaillé ici et là de Strandkörbe (« corbeilles de plage ») attendant les touristes. Sopot dort encore derrière ses façades du XIXe siècle. Sur la jetée en bois longue de 512 mètres, on devine la haute société d’hier se saluer entre ombrelles et chapeaux haut-de-forme. C’est à un médecin alsacien de l’armée de Napoléon Ier, Jean-Georges Haffner (1777-1830), que l’on doit l’ouverture d’un établissement d’hydrothérapie en 1823. Il donna l’impulsion au développement de la ville qui accueillit, plus tard, un casino. Mais l’eau de source, fortement salée, soigne encore aujourd’hui des patients. Sopot fait partie de la « Tricité » avec ses voisines Gdynia et Gdansk. On rejoint cette dernière en voilier malgré la houle et le mal de mer. L’entrée dans la ville par un bras de la Vistule est magique. L’histoire nous tend les bras, dans les chantiers navals et jusque dans son centre historique. Les façades évoquent les heures de gloire de la Ligue hanséatique et les souvenirs plus sombres se lisent au Musée de la Seconde Guerre mondiale et au Centre de la solidarité européenne.
Tout cela est loin d’être « nulle part ». Il faut peut-être chercher un peu plus loin, à l’embouchure de la Vistule. À Mikoszewo, un couple de passionnés a rénové, planche par planche, une maison en bois de deux cents ans. Les appartements de location, autour, pourraient sortir des pages d’un magazine de décoration. Le « nulle part » – ou plus sûrement le « hors du temps » – est encore au-delà, dans ce cordon sablonneux de 70 kilomètres tourné sur la Baltique d’un côté et la lagune de la Vistule de l’autre. Pas ou peu de touristes sur des kilomètres de sable et de forêts de pins. Dans le dernier café avant la Russie, le calme et la douceur des paysages ont quelque chose d’irréel. Au bout du chemin en terre, c’est Kaliningrad. Le « nulle part » est peut-être là, dans l’entre-deux, dans le partage pacifique des eaux et des terres.
Carnet de route
Le Figaro Magazine
UTILE
Office national polonais de tourisme (01.42.44.19.00).
Y ALLER
Avec la compagnie LOT (0.800.101.224), aller simple Paris-Szczecin via Gdansk, à partir de 128€. Ou avec Wizz Air , aller-retour Paris-Beauvais-Gdansk, à partir de 50€. Puis location de voiture, chez Europcar , à partir de 299€ pour 8 jours au départ de l’aéroport de Szczecin, retour à l’aéroport de Gdansk.
NOTRE SÉLECTION D’HÉBERGEMENTS
À Swinoujscie
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Radisson Blu Resort Swinoujscie (00.48.914.040.700). À un jet de serviette de la plage, cet hôtel moderne évoque un grand bateau de croisière de 340 chambres et suites avec balcon. Les jours pluvieux, son espace de jeux aquatiques accueille petits et grands. À partir de 250€ la nuit en chambre double.
À Ustka
Villa Red by Columbus (00.48.500.590.590). Dans une maison en briques rouges, à deux pas de la plage, cet hôtel 3 étoiles dégage une ambiance sympathique, un brin nostalgique. Le prince Otto von Bismarck (1815-1898) aurait séjourné dans cette demeure. À partir de 94€ la nuit en chambre double.
À Leba
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Zamek Leba & Spa (00.48.598.635.120). Planté dans le sable, ce charmant manoir de 1907 a eu de nombreuses vies, balayées par les tempêtes et l’histoire. Une douceur estivale émane de ses murs abritant une quarantaine de chambres, toutes différentes, côté mer ou forêt. On se sent comme dans une grande maison de famille. Coup de cœur. À partir de 94€ la nuit en chambre double.
À Sopot
Sofitel Grand Sopot (00.48.585.206.000). Hôtel mythique de la côte Baltique, voire du pays, ce centenaire est à lui seul un livre d’or : Charles de Gaulle, Fidel Castro, Marlene Dietrich et bien d’autres y ont rêvé. Ses chambres ont un charme un brin suranné. Qu’on ne change rien ! L’hôtel a une belle âme – et un casino et un spa. À partir de 210€ la nuit en chambre double.
À Mikoszewo
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Tilia Authentic Home (00.48.666.854.366). Le raffinement embrasse ici la simplicité et la poésie, mariant le contemporain à l’ancien. Dans ces 4 appartements d’hôtes, la nature s’invite en grand grâce aux baies vitrées. Le chef Pawel Dolzonek organise de temps à autre des dîners extraordinaires. À partir de 170€ la nuit dans un appartement pour 2 personnes avec cuisine.
NOS BONNES TABLES
À Ciekocinko
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Palac Ciekocinko (00.48.608.002.220). Cet hôtel, situé dans un manoir, est aussi connu pour ses courses et compétitions équestres. Son bistro a obtenu un Bib Gourmand du Guide Michelin. Plat à partir de 16€, panier de pique-nique 38€, pour 2.
À Sopot
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Café Mamma Mia (00.48.534.044.743). À l’étage, ce salon de thé coloré et peps lorgne la longue jetée en bois. Avant ou après une part de gâteau, on prend un verre d’eau curative à la fontaine à l’accès gratuit. Gâteau à partir de 7€.
White Marlin (00.48.784.629.283). Pour voir et être vu… Le White Marlin est le spot à la mode avec ses tables sur la plage. On peut lui préférer, un peu plus loin, le No33 di Vinegre, plus discret. Plat à partir de 13€.
Dworek Cafe Bar (00.48.515.049.919). Expositions d’art, concerts et lectures animent ce centre culturel, Sierakowski Manor House, une maison du XVIIIe siècle. Elle abrite aussi un charmant café-restaurant à l’agréable jardin. Plat à partir de 10€.
Rezydent Sopot MGallery (00.48.58.555.58.00) Une cuisine bistronomique dans un cadre contemporain… Cette récente adresse est vite devenue un point de rendez-vous pour voyageurs et businessmen. Plat à partir de 13€.
Sur la péninsule de Hel
Restaurant Bar 21 (Wiejska 21). On y faisait autrefois du poisson grillé. Edmund Asare a repris cette adresse et y sert des soupes traditionnelles et une cuisine kachoube. Plat à partir de 4€.
Hotel Bryza (00.48.58.675.51.00). La structure d’origine a été conservée. L’hôtel a gardé le goût de l’époque communiste mais a réussi une belle transformation – du moins de l’intérieur. C’est d’ailleurs l’une des adresses les plus chics de l’île. Elle propose différents restaurants dont plusieurs donnant sur la plage. Sans oublier le Coco Beach Lounge les pieds dans le sable. Plat à partir de 16€.
Sur la presqu’île de la Vistule
Four Winds (00.48.552.465.113). Quelle surprise ! « À l’ouest de la frontière et au nord du soleil », comme l’indique le restaurant, c’est l’une des meilleures tables de la côte. Simple et sans chichi, à quelques kilomètres de Kaliningrad. Plat à partir de 12€.
Kawiarnia Na Piaskach (00.48.601.273.762). C’est le dernier café-salon de thé sur la presqu’île de la Vistule. Depuis la terrasse, la vue s’ouvre sur un champs de roseaux, la lagune de la Vistule et, au loin, la cathédrale de Frombork qui détient un pendule de Foucault. Café à partir de 2,30€.
À FAIRE
À Sopot
Morze Aniolow (00.48.607.083.739). Rendez-vous à l’entrée n° 28 de la plage, juste avant le lever du soleil, pour une baignade avec les anges du groupe The Sea of Angels. Une expérience unique. Gratuit.
Premium Yachting (00.48.722.500.500). En voilier, le vent pousse jusqu’à Gdansk en traversant les anciens chantiers navals. Sans doute la meilleure introduction pour découvrir la ville. Unique. À partir de 32€ par personne, 447€ pour une privatisation.
À Wolin
Parc National de Wolin (00.48.91.386.49.53). Entre la mer Baltique et la lagune de Szczecin s’étend la plus grande île polonaise dont une partie de la nature est protégée par le parc national. Dans les forêts de hêtres se cache le Centre d’Élevage de Bisons d’Europe. Le parc couvre aussi le littoral et la mer ainsi que des îlots sur la lagune. Entrée à partir de 3€.
À Slowinski
Parc National de Slowinski (00.48.58.500.85.07). Les stars du parc sont les fameuses dunes mouvantes – pour lesquelles il peut y avoir foule l’été. Mais il est aussi possible de faire une randonnée de 8 kilomètres en passant devant un phare, le musée local, la plage, les dunes et la forêt. Entrée à partir de 2,30€.
À Kluki
Éric Martin pour «Le Figaro Magazine»
Muzeum Wsi Słowińskiej w Klukach (00.48.59.846.30.20). Près d’Ustka, le village de Kluki est devenu un musée ethnographique en plein air, composé de plusieurs maisons traditionnelles de Poméranie datant de plusieurs siècles. Elles furent longtemps habitées par des Cachoubes. Entrée à partir de 5€.
À Hel
Museum Rybołówstwa (00.48.58.675.05.52). Le Musée de la Pêche s’est installé dans une ancienne église évangélique. Y figure notamment un bateau suspendu au plafond tel une œuvre d’art. Effet garanti. Entrée à partir de 6€.
VISITER
À Szczecin
Centre des sciences marines (00.48.913.518.001). Ce « navire » de l’architecte Piotr Plaskowicki témoigne de la vie des chantiers navals, de la mer et du large. Les enfants y jouent au moussaillon en herbe ou au cuisinier en pleine tempête (un mécanisme mime les vagues). À partir de 9,50€ l’entrée.
À Ustka
Muzeum Bursztynu (00.48.695.512.960). Un petit musée privé rassemblant de belles collections d’ambre naturel dont des incrustations ainsi que des objets en ambre. Entrée à partir de 5,60€.
RAPPORTER
À Drewnica
Farmer Concept Store . C’est à peine si Google Maps arrive à trouver l’adresse. Perdu dans les champs, au bout d’une piste, ce « concept store » est une curiosité. Asia et Jacek créent ici des savons et des crèmes à base de plantes qu’ils cultivent eux-mêmes. Champêtre au bout des doigts.
À LIRE
Hanemann, de Stefan Chwin, Édition Circé
Pologne, L’âme des peoples, Éditions Nevicata
BON À SAVOIR
La Côte Baltique n’est pas la Côte d’Azur mais elle peut, à certains endroits, être très fréquentée. Il suffit de faire quelques pas de côté pour trouver des zones entièrement désertes.