embarquement immédiat pour le Paris-Tokyo, un vol sans retour ?


J’AI FAILLI RATER L’AVION [3/3]- Des stratégies d’évitement improbables aux thérapies en tout genre, notre journaliste poursuit sa lutte pour triompher de la phobie des transports aériens. Après un stage «Apprivoiser l’avion», tentative d’embarquement à bord d’un vol sans escale… pour Tokyo !

Soyons honnêtes, les deux semaines ayant séparé le stage « Apprivoiser l’avion » d’Air France du décollage pour le Japon m’ont fait largement douter de l’efficacité de ce dernier. La certitude de courir à ma perte toujours chevillée au corps, j’ai passé des coups de fil frénétiques pour déterminer qui, parmi nos amis, hériterait du chat. Je me suis mise à envoyer des textos lunaires aux rares courageux qui osaient encore s’enquérir de mon état psychique : « Pas pleuré depuis hier ! », « Pas pleuré depuis 3h ! (smiley qui lève les bras en signe de victoire) ».

C’est peu dire que le déballage de mon aviophobie dans les colonnes du Figaro a diverti au plus haut point mon entourage. La mention de la perte du passeport quelques jours avant le décollage a notamment suscité des torrents d’hilarité, assortis de commentaires inspirés : «Alors, on essaye d’échapper au crash-test ?». Haha, que l’on rit. Quolibets qui ont redoublé face à ma mine déconfite quand j’ai reçu le nouveau, quatre jours avant le départ. Le destin n’avait donc pas décidé de m’épargner.

La veille du grand saut, je suis allée, résignée, quémander des anxiolytiques à mon médecin traitant. J’avais beau m’astreindre, en stagiaire zélée, à écouter chaque soir un enregistrement de relaxation guidée, j’avais comme l’intuition que ce ne serait pas suffisant lors d’une éventuelle crise de panique à 11.000 mètres d’altitude. Agitant le petit tube de plastique telle une maraca, je l’ai observé attentivement puis l’ai rangé avec soin dans la pochette transparente qui m’accompagnerait en cabine, priant qu’il se révèle inutile.

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Faire le deuil d’une roue

Quinze heures plus tard, je franchissais les portes du terminal 2E de Roissy-Charles-de-Gaulle pour la première fois en dix ans. En dehors de l’armée de bornes d’enregistrement libre-service semblant prendre un malin plaisir à torturer les voyageurs pressés, rien n’a vraiment changé. Fidèle au rendez-vous aussi, mon incompréhension face à l’insouciance des voyageurs, apparemment plus préoccupés par les horaires d’ouverture du duty-free que par leur survie. Montée d’angoisse immédiate. J’aurai quand même tenu jusqu’à la disparition de nos bagages sur le tapis magique pour gober discrètement un petit quart de Lexomil.

S’ensuit l’attente interminable de l’embarquement, me laissant l’opportunité d’enchaîner deux constats accablants d’un simple coup d’œil : il fait un temps de chien et notre avion est un Boeing 777. J’essaye de me remémorer les réponses du pilote à mes questions anxieuses lors du stage. « Le triple 7 ? Hypersûr, les problèmes sont sur le 737 Max! ». Mouais. Autant commencer tout de suite à faire le deuil d’une roue. Après tout, ne m’a-t-on pas démontré dans le simulateur qu’un avion pouvait pallier la majorité de ses avaries ? De toute façon, l’appel vient de retentir.

Alors que nous avançons en file indienne, la moquette défile sous nos pieds. Dans quelques mètres, nous aurons quitté le cordon ombilical qui nous relie encore à la terre ferme. Au bout, dans l’embrasure de la porte de l’avion, l’hôtesse nous accueille. Je baisse les yeux et, au sol, on distingue derrière nous l’extrémité de la passerelle. Ça y est, j’ai posé le pied dans la bête. Refoulant mes larmes, j’avance, cherche ma place et m’assois. Les conseils reçus me reviennent brusquement : réécouter un enregistrement de relaxation, lancer un film. Et surtout respirer. C’est le moment ou jamais de repenser à la simplicité des décollages dans le simulateur, aux check-lists infinies des pilotes et à la sérénité imperturbable du personnel navigant (PNC).

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«Un jet-stream de rien du tout»

Et soudain, la sentence redoutée : «Préparez-vous au décollage». Je ferme les yeux pendant que, dans mes oreilles, la sophrologue continue à affirmer que je suis détendue. Plaquée contre le dossier, je souffle lentement et… c’est fini, on vole, et c’est exactement la même sensation que celle du simulateur. Curieusement, je n’ai plus vraiment peur, une forme d’euphorie m’envahit. Je l’ai fait. Ça se fait ! C’est le moment que choisit le chef de cabine pour venir se présenter. Il sait que j’ai fait le stage anti-stress, c’est précisé sur son iPad, il promet qu’ils veilleront bien sur moi et me garantit que tout va bien se passer. Inexplicablement, je le crois.

Le vol a duré presque 14 heures, et pour la première fois, je n’ai pas tenté d’interpréter le moindre bruit, je ne les ai même pas guettés. J’ai gardé mes écouteurs et rattrapé un an de sorties ciné. J’ai même dormi, dormi ! Vous ne vous rendez pas compte. Pour être tout à fait transparente, au bout de la onzième heure, dix minutes de turbulences sont venues mettre un terme provisoire à ma détente. Peut-être qu’une larme a glissé le long de ma joue. Peut-être même qu’un steward m’a immédiatement grillée et est venu balayer mes craintes : «On traverse un jet-stream de rien du tout !».

Ce qui est certain, c’est qu’à l’atterrissage à Tokyo, je me sentais fière, et surtout libérée. J’ai d’ailleurs envoyé une photo des toilettes ultra-technologiques de l’aéroport à la moitié de mon répertoire téléphonique pour célébrer le moment. Mieux, au terme du séjour japonais, si j’appréhendais encore le retour, mes craintes se sont à nouveau évaporées une fois dans les airs. Là encore, les PNC étaient au courant de ma présence et sont régulièrement venus s’assurer de ma survie en milieu hostile. Pas la moindre larme au retour. Pas une.

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Loin de moi l’idée de me prétendre guérie : je ne serai jamais détendue à l’idée de voler – qui continue à me paraître parfaitement saugrenue. Mais je peux désormais prendre l’avion sans me déclencher un ulcère ou faire demi-tour à l’aéroport, et il faut bien admettre que le stage y est pour beaucoup. J’espère juste ne pas avoir utilisé toutes mes cartouches de karma dans cette histoire et qu’il en reste quelques-unes pour mon prochain vol (je ne veux rien entendre, j’ai un excellent bilan carbone). Après, j’aurai eu ma dose pour cette année… Plus, ce serait de la gourmandise.


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