Que voir, lire ou écouter pour voyager depuis son canapé ?
À grands coups de quarantaine et de fermeture de frontières, le coronavirus met en péril tous nos plans de voyage. Pas question pour autant de renoncer à ses projets d’évasion : la littérature, le cinéma, la peinture et la musique regorgent d’œuvres qui nous transportent illico au bout du monde.
À Tahiti avec Paul Gauguin, sur les routes avec Iggy Pop, en Amazonie avec The Lost City of Z ou en Australie avec Bill Bryson, voici une sélection pour nous emmener loin, très loin, quitte à rester confiné un peu plus longtemps…
À voir
Dans la jungle avec le Douanier Rousseau
Quand il arrive dans la capitale en 1868, Henri Rousseau n’a que 24 ans. Originaire de Laval, en Mayenne, le jeune homme n’a pas un sou en poche et supporte mal la vie urbaine. Petit employé de l’octroi de Paris, d’où le surnom de «Douanier», il tente d’échapper à sa modeste condition sociale par la peinture, qu’il pratique en autodidacte au cœur des écrins de verdure des bords de Seine, du Jardin des Plantes et du Jardin d’Acclimatation. Il est alors loin d’imaginer que la ville va lui inspirer une œuvre inclassable et faire de lui un précurseur de l’Art naïf, ouvrant la voie aux surréalistes.
Pour réaliser sa série des Jungles, le Douanier Rousseau (1844-1910), qui n’a jamais voyagé, puise dans l’imagerie populaire et dans les récits de l’époque où bêtes sauvages et forêts effrayantes côtoient des singes facétieux et des femmes érotisées. Celle figurant sur le tableau Le Rêve, l’une de ses plus célèbres toiles, peinte en 1910, devient l’allégorie du désir et de la fertilité en milieu hostile. Si l’œuvre du peintre est jugée trop enfantine et son trait trop contouré à ses débuts, ses larges toiles sont pourtant le résultat d’une vraie technique. Pour Le Rêve, Rousseau aurait utilisé plus de 20 nuances de vert !
En Amazonie avec «The Lost City Of Z»
Quand la Royal Geographical Society de Londres envoie Percy Fawcett en expédition de cartographie à la frontière du Brésil et de la Bolivie, c’est la douche froide. Le major de l’armée britannique doit quitter sa femme et son petit garçon, Jack, pour un rude périple de plusieurs années. Mais Percy Fawcett accepte le sacrifice pour redorer un blason terni par son père alcoolique.
L’Amazonie se révèle aussi inhospitalière que lointaine. Piranhas, flèches empoisonnés et manque de nourriture ponctuent le voyage.
Pourtant, Percy n’aura de cesse d’y retourner. L’explorateur se met en tête de prouver l’existence d’une cité perdue, qu’il nomme « Z ». Sa quête est profonde, sa soif de l’inconnu insatiable. Même le grand amour ne suffit pas à le faire rester en Angleterre. Quand son fils, devenu un homme, veut partir en Amazonie avec lui, Percy n’est pas difficile à convaincre. Mais, alors que le voyage se passe mal, Jack est terrifié à l’idée de mourir. Son père le rassure. Si tel est le cas, lui dit-il, ils auront vécu bien plus que ce que le commun des mortels peut imaginer.
The Lost City Of Z, film d’aventure de James Gray, avec Charlie Hunnam, Sienna Miller, Robert Pattinson et Tom Holland.
À Tahiti avec Paul Gauguin
Le chef de file de l’École de Pont-Aven en rêvait. Le 31 mars 1891, il l’a fait. Lorsqu’il s’envole vers la terre tahitienne, Paul Gauguin (1848-1903) cherche à fuir l’Europe et sa bourgeoisie. Avant son départ, il confie à un journaliste de l’Écho de Paris : « Je pars pour être tranquille, pour être débarrassé de l’influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l’art simple, très simple. Pour cela, j’ai besoin de me retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie… ». À Tahiti, colonisée depuis peu par la France, le postimpressionniste cherche auprès de la végétation luxuriante de l’île et des indigènes maoris une nouvelle source d’inspiration.
Ce tableau, Chemin à Papeete, est l’unique témoignage d’une visite que Gauguin effectue à la capitale après son installation à Mataiea, à cinq heures de carriole de Papeete. Dans ce village installé au bord d’un lagon, au sud de l’île, le peintre a trouvé son paradis. Il se trouve dans un district catholique (et non protestant comme partout ailleurs) et est le repaire des Européens. Car s’il s’imprègne de cette culture nouvelle, esquissant scènes de vie, plantes, animaux exotiques et jolies vahinés, le peintre se comporte aussi à Tahiti en colon ordinaire : il méprise les indigènes, se gave d’alcool et se paye jusqu’à plusieurs fois par jour de la chair juvénile.
Au-dessus des îles de la mer Adriatique avec «Porco Rosso»
Un point rouge file dans le ciel azuré. Aux commandes de son hydravion écarlate, Marco est insaisissable. Il est le pilote le plus célèbre – et le plus redouté – de l’Adriatique. Dans l’air chaud qui flotte au-dessus des eaux turquoise, il est chez lui partout. Cet ancien pilote des forces aériennes italiennes a quitté l’armée après avoir été frappé d’une malédiction. Son visage a pris les traits d’une tête de cochon. Depuis, il s’est reconverti en chasseur de prime sous le nom de Porco Rosso. Quand il n’est pas en train de flanquer une bonne raclée aux pirates des airs, il sirote un verre à la taverne tenue par la belle et terrible Gina, ou roupille dans son repaire – une île perdue dans l’Adriatique. Jusqu’au jour où un autre pilote d’exception vient lui gâcher la vie.
Ode à la liberté sur fond de récession économique et montée du fascisme dans l’Italie des années 1920, Porco Rosso est le sixième dessin animé long-métrage de Hayao Miyazaki. Il faut voir ce film pour sa légèreté enfantine, ses mélodies jazz signées Joe Hisaishi, et ses plans aériens à couper le souffle.
Porco Rosso, dessin animé de Hayao Miyazaki.
À Venise avec William Turner
Voyageur infatigable célébré jusqu’au 20 juillet au musée parisien Jacquemart-André, William Turner (1775-1851) a traversé l’Europe du XIXe siècle à pied, en bateau ou en diligence, sans ne jamais quitter son carnet de croquis. Avec plus de 35 voyages qu’il effectuera jusqu’à l’âge de 70 ans, l’aquarelliste et graveur britannique veut prouver que la peinture de paysages peut provoquer autant d’émotions que les fresques historiques. Une position excentrique à une époque où les grands maîtres de la peinture ne quittent pas leur atelier. Si la majorité de sa production a pour sujet les stations balnéaires près de Londres, comme Margate (plus de 100 toiles et aquarelles), la ville de Venise est pour lui une importante source d’inspiration.
Son premier voyage en Italie, en 1819, marque une rupture dans son œuvre. Initialement de la veine romantique anglaise, il abandonne la représentation réaliste pour des œuvres plus lumineuses, qui font de lui un précurseur de l’impressionnisme et lui valent d’être affublé du surnom de « peintre de la lumière ». Il n’hésite pas à tester des combinaisons étranges d’aquarelle et d’huile, ainsi que des matériaux improbables comme le jus de tabac et la bière. William Turner détient un double record : il est devenu le membre le plus âgé de l’Académie Royale, après en avoir été le plus jeune (pris à l’essai à 14 ans, devenu membre à part entière à 27 ans).
Du Groenland à l’Himalaya avec «La vie rêvée de Walter Mitty»
Walter Mitty est amoureux de l’une de ses collègues. Il s’imagine l’aborder, l’inviter en rendez-vous et lui en mettre plein la vue. Mais dans la réalité, il n’ose pas l’approcher. Alors que le magazine dans lequel il travaille vient d’être racheté et ne va plus paraître, c’est à lui, le responsable des négatifs, de développer la photo de la dernière une de l’hebdomadaire. Son nouveau patron lui met la pression, raille son comportement mal assuré.
Il ne trouve pas le négatif de la photo 25. C’est elle, spécialement envoyée par le plus célèbre photographe du magazine, Sean O’Connell, qui doit apparaître en couverture du dernier numéro. Il parvient à adresser la parole à Cheryll et, avec son aide, décide de retrouver le photographe. Mais l’homme n’est pas facile à débusquer. Walter se lance dans un périple fantastique qui le mènera du Groenland à l’Islande, de l’Afghanistan aux montagnes de l’Himalaya. Il saute d’un hélicoptère, se bat avec un requin, dévale une descente de 17 kilomètres en longboard et fuit un volcan en éruption afin de retrouver la précieuse photo. À moins que tout ceci n’ait été le produit de son imagination. Après tout, quelle importance ?
La vie rêvée de Walter Mitty, film d’aventure de Ben Stiller, avec Ben Stiller, Kristen Wiig et Adam Scott.
Au Maroc avec Eugène Delacroix
Chef de file du romantisme français, Eugène Delacroix est, avec Géricault, le premier à exprimer ses opinions politiques sur des événements contemporains à travers le genre noble de la peinture d’histoire. Mais un voyage au Maroc, en 1832, marque un véritable tournant dans son œuvre. Le peintre accompagne un diplomate, le comte de Mornay, venu négocier avec le sultan la conquête de l’Algérie voisine. C’est la révélation pour Delacroix (1798-1863), celle du «sublime vivant qui court ici dans les rues et qui vous assassine de sa réalité. À chaque pas, il y a des tableaux tout faits qui feraient la fortune et la gloire de vingt générations de peintres», écrit-il à un ami.
Pendant ce séjour, il abandonne son approche livresque et fantasmagorique pour approcher les mœurs et coutumes du monde oriental avec plus de réalisme. À ses compositions mythologiques, historiques et religieuses s’ajoutent désormais des tableaux orientalistes qui deviennent une part majeure de son œuvre. L’Orient lui évoque une Antiquité retrouvée, il ne cesse de remplir des carnets d’aquarelles et feuilles volantes d’indications manuscrites qui lui vaudront, jusqu’à la fin de sa vie, une source inépuisable de sujets. Le 21 février, il assiste à une noce qu’il croque sur le vif et qui aboutira à l’une de ses plus célèbres séries parmi laquelle figure la toile Juive de Tanger en costume d’apparat.
Autour du globe avec Terminal F
Plusieurs fois par an, Le Figaro Voyage vous fait découvrir une destination de rêve dans son émission «Terminal F». Pendant une heure, Bénédicte Menu, rédactrice en chef du pôle Tourisme au Figaro et Jean-Bernard Carillet, journaliste et photographe, vous emmènent dans des régions du monde propices à l’aventure. Leurs invités, qu’ils soient photographes, scientifiques ou fondateurs d’agences de voyages, partagent leurs expériences et leur connaissance des merveilles de notre monde, de la Mauritanie à Djibouti, en passant par la Catalogne et l’archipel du Spitzberg.
À écouter
À bord du Transsibérien avec Thylacine
Son nom de scène a déjà comme un goût d’exotisme. Le thylacine est un étrange mammifère, tigre à la tête de kangourou, qui vivait autrefois en Australie. Thylacine, c’est également le pseudonyme derrière lequel se cache le discret William Rezé, jeune Angevin qui fait souffler un vent nouveau sur l’électro française. Dans son premier opus Transsiberian , paru en 2015, le multi-instrumentiste nous embarque sur les quelque 9.000 kilomètres de voie ferrée qui relient Moscou à Vladivostok.
Un carnet de voyage bigarré de sons glanés sur la route. Annonces de gares en russe, bruit de chemins de fer, conversations entre passagers… Une électro des grands espaces, aérienne et onirique, plus planante que dansante.
Sur les routes avec Iggy Pop
Quel meilleur résumé de l’esprit punk que The Passenger ? En transit, un baluchon sous le bras et les yeux perdus dans les étoiles, ainsi se rêvait le jeune Iggy Pop en 1977. L’iguane griffonne les paroles de ce qui deviendra l’un des grands hymnes du rock alors qu’il est à bord d’un S-Bahn berlinois. Le riff lancinant du morceau, composé par Rick Gardiner, semble mimer le bruit de la locomotive qui avance, inlassablement, sur les rails.
Dans la savane avec Ali Farka Touré
Martin Scorsese a dit de la musique du Malien Ali Farka Touré qu’elle était l’«ADN du blues». Puisant aux origines du blues africain, elle est épurée, répétitive, sèche comme le Sahara. Il y chante la terre aride, le fleuve Niger, sur les rives duquel il est né, et invoque les esprits auxquels il a appris à parler, tout petit, auprès de sa grand-mère guérisseuse. Quand il compose Savane, Ali Farka Touré se sait mourant. Après des années à se consacrer au travail de la terre, celui qui est devenu maire de sa commune, Niafunké, près de Tombouctou, revient à ses premières amours, la musique. Et crée là son meilleur album.
Dans l’Amérique profonde avec Townes Van Zandt
Le poète maudit du blues, mort des suites d’un delirium tremens à 52 ans, n’aura pas connu la gloire de son vivant. Dans son chef-d’œuvre, Our Mother the Mountain (1969), Townes Van Zandt explore l’Amérique profonde. Celle des paumés, joueurs compulsifs, prostituées, condamnés à mort. Une vraie diagonale du vide aux confins du Nouveau Monde, de Tecumseh Valley, Oklahoma, aux «fières montagnes» du Colorado en passant par son Texas natal, dont il chante les déserts et la chaleur. Parce que, comme disait le grand Townes, «Mon ami, vivre sur la route permet de rester libre et vierge».
D’un bivouac à l’autre avec Daniel Fiévet
C’est une émission d’été que l’on apprécie écouter à n’importe quelle saison. En juillet et août, le journaliste scientifique Daniel Fiévet invite des voyageurs et aventuriers en tout genre dans son émission «Le Temps d’un bivouac», disponible sur le site de France Inter. Aborder le voyage, c’est inévitablement évoquer les grands navigateurs, les expéditions polaires, les peuples autochtones, mais aussi le cinéma, la littérature et la chanson française. Depuis l’été 2019, les épisodes sont diffusés tout au long de l’année sous le nom de «Du vent dans les synapses» et abordent le thème du voyage sous un prisme plus scientifique.
À lire
Au Groenland avec Julien Blanc-Gras
Écrivain voyageur au ton atypique, Julien Blanc-Gras décide, en 2016, de s’envoler vers «un pays qui fait quatre fois la taille de la France et dont la population pourrait tenir dans un stade». Dans Briser la glace, l’auteur observe avec humour et respect les us et coutumes des Groenlandais, qui lui offrent volontiers un café ou le foie cru d’un phoque, à manger pendant le dépeçage. Lors de ce périple polaire, on croise aussi des chasseurs de baleine, des aurores boréales, des pêcheurs atypiques, des dealers fanfarons et beaucoup d’icebergs qui font subtilement écho aux enjeux climatiques mondiaux.
En Afrique avec Sonia et Alexandre Poussin
Après avoir réalisé un tour du monde à bicyclette et une traversée de l’Himalaya avec son acolyte Sylvain Tesson, Alexandre Poussin entreprend, le 1er janvier 2001, une incroyable expédition avec son épouse Sonia. Ensemble, ils parcourent 14.000 kilomètres pour remonter l’Afrique à pied, du cap de Bonne-Espérance au lac de Tibériade, et refaire symboliquement le voyage du premier homme. Dans leur récit Africa trek, publié en deux tomes, ils témoignent de leurs longues marches dans la brousse, des attaques d’animaux sauvages, des traversées de pays en crise et, surtout, de la générosité et de l’enthousiasme de ces hommes et femmes qui peuplent le continent.
En Inde avec Régis Airault
Ancien médecin psychiatre du consulat de France à Bombay, Régis Airault a constaté qu’un étonnant syndrome touchait les voyageurs Occidentaux qui visitaient l’Inde, notamment les adolescents et les jeunes adultes. Qu’est-ce qui les attire dans ce pays ? Pourquoi sont-ils si fragiles psychologiquement là-bas ? En quoi un voyage peut contribuer à remodeler notre vision du monde ? En énumérant les cas de ses patients les plus marquants, il s’interroge dans ce livre sur les causes de cette étrange fascination. De Bombay à Goa, en passant par Delhi et Pondichéry, on découvre dans Fous de l’Inde, ce pays envoûtant sous un angle inédit.
En Australie avec Bill Bryson
Le plus drôle des écrivains voyageurs balaye d’un revers tous les clichés qui collent à la peau de l’Australie dans Nos voisins du dessous. Plus proche de Mister Bean que d’Indiana Jones, le globe-trotteur sillonne cette terre du bout du monde pour en aborder les thèmes les plus divers: sa flore, sa faune, sa population, mais aussi l’histoire très singulière de sa colonisation et la question aborigène. Il se moque de lui-même, de ses craintes (souvent fondées) vis-à-vis des dangers de la nature, des efforts physiques qu’il subit en dépit de sa maladresse et de ses relations avec ses voisins des antipodes.
En Asie centrale avec Ella Maillart
« Apprendre à connaître la vie. Surtout, la rendre vraie en la simplifiant moralement et physiquement » : tel est le but qui sera poursuivi par l’aventurière suisse tout au long de sa vie. En 1932, Ella Maillart part explorer l’Asie centrale, fascinée par la vie instable des nomades qui ressemble tant à la sienne.
À cheval, elle traverse le pays des Kirghizes jusqu’aux monts Célestes. Sur des skis faits de bric et de broc, elle fait l’ascension d’une montagne de 5.000 mètres d’altitude à la frontière chinoise. À dos de chameau, elle traverse le désert. Des monts Célestes aux sables Rouges est le récit de cette expédition menée par une femme ultra-moderne pour son époque, intrépide et libre.