Prix, dangers, préparation… Les vacances dans l’espace, est-ce vraiment pour demain ?
Attendus depuis de nombreuses années et sans cesse repoussés, les premiers voyages touristiques dans l’espace pourraient devenir réalité en 2021. Prêts pour le décollage ?
C’est un événement, la mission américaine «Mars 2020» entrera en scène pour le grand show ce jeudi soir : une rentrée atmosphérique de tous les dangers à plus de 23.000 km/h qui doit se terminer en apothéose avec l’atterrissage du rover Perseverance. Un engin à 2,5 milliards de dollars dont l’objectif principal sera de collecter des échantillons qui devront ensuite être rapportés sur Terre.
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Du concret à l’heure où le voyage spatial devient chaque jour un peu plus envisageable. Car si séjourner sur la planète rouge ou la Lune n’est pas pour tout de suite, l’orbite terrestre est un horizon plus accessible pour de simples humains. Voler autour de la Terre à des fins touristiques, quelques privilégiés l’ont déjà fait. De 2001 à 2009, l’entreprise Space Adventures a envoyé huit «touristes spatiaux» dans la Station Spatiale Internationale (ISS). Le premier d’entre eux, Dennis Tito, déboursa 20 millions d’euros pour y passer une semaine.
Introspection, défi personnel, assouvissement d’une passion pour l’astronomie… Les raisons d’approcher les étoiles sont multiples et certains milliardaires sont prêts à y mettre le prix. «On peut faire le rapprochement avec les explorateurs qui, il y a encore un siècle, s’aventuraient dans des régions du monde pas encore cartographiées, ou avec les voyageurs d’aujourd’hui qui veulent repousser leurs limites», explique au Figaro Olivier Sanguy, rédacteur en chef des actualités du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace de Toulouse.
«Le voyage spatial ne peut se résumer à un simple loisir pour milliardaires, poursuit-il. Il s’accompagne généralement d’une quête (scientifique, philanthropique) et de la recherche de l’overview effect, une prise de conscience soudaine que subissent les astronautes à la vue de notre planète».
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À quelle altitude entre-t-on dans l’espace ?
La frontière entre la Terre et l’espace est délimitée par la ligne de Kármán, fixée à 100 kilomètres d’altitude. Cette limite, définie dans les années 1950 avant la conquête spatiale, est reconnue par la Fédération aéronautique internationale (FAI). «La ligne de Kármán est une limite arbitraire. Voler à 100 ou à 80 km ne change rien pour les passagers», nuance Xavier Tytelman, expert en aéronautique. Dans les deux cas, «ils voient la rotondité de la Terre, un ciel sombre en plein jour et subissent plusieurs minutes d’apesanteur», poursuit Olivier Sanguy, qui admet que cette limite fait débat dans le monde scientifique. «L’armée américaine, par exemple, place cette limite à 80 km», rappelle-t-il.
Cette «frontière» crée ainsi deux catégories de vols : les suborbitaux (en dessous de 100 km) et les orbitaux (au-delà de 100 km). Les vols suborbitaux sont comme «projetés» vers l’espace avant d’atteindre leur apogée et de retomber vers la Terre sous l’effet de la gravité. Ces vols ultrarapides (entre 15 et 30 minutes) seront assurés par Virgin Galactic et Blue Origin et comportent quelques minutes en apesanteur. Les vols orbitaux, eux, impliquent une mise en orbite du vaisseau et au moins un tour de la Terre. Ils seront organisés notamment par SpaceX et Axiom Space qui prévoient d’ores et déjà des expéditions de plusieurs jours.
Quels sont les projets en cours ?
Space X : plusieurs jours autour de la Terre
Emmener les voyageurs au-delà de l’ISS, à plus de 400 km d’altitude. C’est le pari fou que s’est lancé Elon Musk, fondateur de SpaceX et de Tesla. Son projet doit se concrétiser à la fin de l’année 2021 avec la mission baptisée Inspiration4. D’une durée de plusieurs jours, elle sera réalisée par la fusée réutilisable Falcon 9 et la capsule Dragon. Jared Isaacman, fondateur et patron de l’entreprise Shift4 Payments et pilote expérimenté, sera à bord, et fera don des trois sièges restants à des individus américains «issus du grand public».
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Blue Origin : aux frontières de la Terre et de l’espace
«Nous sommes très proches de pouvoir faire voler des humains dans l’espace», déclarait début janvier Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et de Blue Origin. Le 14 janvier dernier, la firme de tourisme spatial a procédé avec succès au quatorzième vol d’essai de New Shepard, son petit lanceur réutilisable surmonté d’une capsule conçue pour accueillir les passagers. Objectif : atteindre la fameuse limite des 100 km au-dessus de la Terre. Comme ses deux principaux concurrents, Jeff Bezos compte bien faire décoller son premier vol commercial dans le courant de l’année.
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Virgin Galactic : quelques minutes d’apesanteur
Comme son concurrent Blue Origin, Virgin Galactic envisage de commercialiser des vols suborbitaux avec SpaceShipTwo, un vaisseau mi-avion, mi-fusée. La société, fondée en 2004 par le britannique Richard Branson, promet de faire vivre à ses clients quelques minutes d’apesanteur à l’apogée de la trajectoire, fixée pour le moment à 80 km d’altitude. Les touristes prendront place dans des vaisseaux de huit sièges (dont deux pour les pilotes). Chaque place disposera d’un hublot et d’une caméra afin que le passager puisse être pris en photo avec la Terre en arrière-plan.
600 personnes ont déjà réservé leur vol au prix de 250.000 dollars, tandis que 8000 autres sont inscrites sur liste d’attente, dont des personnalités comme Tom Hanks et Katy Perry. Virgin Galactic espère lancer son premier vol commercial au premier trimestre 2021 depuis le Spaceport America, sa base dans le désert du Nouveau-Mexique. Richard Branson promet de prendre place à bord du premier vol commercial.
Axiom Space : un hôtel à bord de l’ISS
Lancée en 2016 par un ancien de la Nasa, Axiom Space a été missionnée par l’Agence spatiale américaine pour greffer un nouveau module à l’ISS. La société vient de présenter le premier équipage qui sera envoyé sur l’ISS début 2022 lors de la mission AX-1. Les trois «touristes spatiaux» passeront une semaine dans l’espace, à 400 km au-dessus de la Terre, encadrés par les astronautes professionnels installés à l’année dans l’ISS. Un séjour pour lequel ils ont chacun déboursé 55 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 35.000 dollars par jour pour accéder aux équipements de l’ISS (sanitaires, électricité, air…).
«Avec ce projet, l’ISS sera à la fois un lieu public et privé : public avec la présence de cinq agences spatiales, et privé avec le module d’Axiom Space destiné notamment à un usage touristique», détaille Olivier Sanguy. Le futur module disposera d’un hôtel de huit couchettes individuelles dessiné par le Français Philippe Starck et co-construit par Thalès. Les locataires bénéficieront de Wi-Fi, d’écrans vidéos et, bien sûr, d’une vue exceptionnelle -et imprenable- sur la Terre.
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Zephalto : un ballon dans la stratosphère
Un ballon capable d’emmener de deux à six personnes dans la stratosphère, jusqu’à 25 km d’altitude. C’est le projet développé par l’entreprise française Zephalto, installée dans l’Hérault. «À cette altitude, nous ne sommes pas dans l’espace scientifiquement parlant, mais on peut voir la courbure de la Terre et profiter ciel obscur et étoilé», précise au Figaro Vincent Farret d’Astiès, ingénieur aéronautique et fondateur de Zephalto.
Pour s’élever dans les airs, pas besoin de propulsion comme dans une fusée. Le ballon utilise pour cela un régulateur d’altitude, alimenté uniquement par énergie solaire, qui assure un décollage semblable à celui d’une montgolfière. Les clients seront libres de choisir l’itinéraire, l’altitude et la durée du vol (de quelques heures à plusieurs jours). La start-up, qui a accompli son premier vol d’essai en août 2021, espère emmener ses premiers clients en 2024.
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Combien coûtera un billet pour l’espace ?
Pour s’offrir quelques moments dans le cosmos, il faut s’attendre à débourser une somme… astronomique. Si la start-up française Zephalto planche sur des vols suborbitaux à «quelques dizaines de milliers d’euros», le ticket d’entrée peut s’élever jusqu’à 35 millions de dollars chez SpaceX, voire 55 millions de dollars pour une semaine dans l’ISS avec Axiom Space. Chez Blue Origin et Virgin Galactic, la fourchette de prix est située autour des 250.000 dollars.
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Voyager dans l’espace, est-ce risqué et faut-il se préparer physiquement ?
Passer le test de la centrifugeuse sera-t-il un prérequis pour s’envoler vers l’espace ? Contrairement aux astronautes qui s’entraînent pendant plusieurs années pour leurs missions, les touristes de l’espace n’auront pas à subir de préparation physique spécifique, «du moins pour les vols suborbitaux» qui ne présentent pas plus de risques que des vols en avion, estime Olivier Sanguy. Les différentes entreprises de tourisme spatial ont prévu des examens médicaux pour s’assurer que le voyage ne présente aucun risque. «Il suffit d’avoir une bonne condition physique et ne pas avoir de contre-indications comme des maladies cardiovasculaires, des calculs rénaux ou des problèmes de dos», ajoute-t-il.
Pour les vols orbitaux, plus lointains, plus longs et donc plus à risques, il faut s’attendre à une préparation plus complète. «L’équipage […] passera par une formation à la préparation aux situations d’urgence, des exercices d’entrée et de sortie de combinaisons spatiales et d’engins spatiaux, ainsi que des simulations de mission partielles et complètes», précise par exemple le site de SpaceX.
Selon Olivier Sanguy, la préparation sera surtout d’ordre psychologique : «Il s’agira de rassurer les passagers, d’expliquer le déroulé du voyage dans les moindres détails. La préparation doit aussi permettre aux passagers de faire connaissance avant le décollage pour faciliter la cohabitation.» Un point qui a son importance quand il s’agit de partager quelques mètres carrés, confinés dans le vide de l’espace.
Est-ce une aberration écologique ?
Dans une tribune publiée en septembre sur le site The Conversation et intitulée «Quand les plaisirs de quelques-uns polluent la planète de tous», trois chercheurs s’alarment de l’impact environnemental du tourisme spatial. Les excursions «consomment matière et énergie, et ont des conséquences environnementales qui augmenteraient considérablement si ce tourisme spatial devait faire l’objet d’un commerce plus large», observent-ils, avant d’évaluer l’empreinte carbone des différents projets.
Ainsi, le vol complet d’un Falcon 9 (le lanceur de SpaceX) avec récupération de la capsule habitée «émettra 1150 tonnes de CO², l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15.000 km par an». Quelques minutes d’apesanteur à bord du SpaceShip Two représentent «plus de deux fois l’émission individuelle annuelle («budget CO²») permettant, selon le GIEC, de respecter l’objectif du +2 °C de l’Accord de Paris.»
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«On parle de quelques vols touristiques par an à travers le monde. Rapporté au nombre de voyageurs, forcément très limité compte tenu du prix, l’impact carbone est insignifiant, nuance Olivier Sanguy. Et de rappeler que les appareils (lanceurs, capsules…) sont de plus en plus conçus pour être réutilisables et donc utiliser moins de matériaux. «Aujourd’hui, l’industrie aérospatiale utilise principalement de l’hydrogène liquide, neutre en carbone, ou du methalox, beaucoup plus propre que le kérosène des avions», rappelle l’expert en aéronautique Xavier Tytelman.
Paradoxalement, le voyage spatial serait la meilleure manière d’éveiller ou renforcer les consciences écologiques. On en revient à l’overview effect, ce sentiment qui touche tous ceux qui sont allés dans l’espace. Selon Olivier Sanguy, «voir la beauté de notre planète depuis le vide de l’espace, c’est se rendre compte, mieux que quiconque, de sa fragilité».