ces jeunes qui rénovent le patrimoine durant l’été
DÉCRYPTAGE – Les moins de 30 ans sont de plus en plus attirés par les chantiers de rénovation de patrimoine par intérêt de l’Histoire, mais aussi pour un goût du voyage différent.
Ils s’intéressent au patrimoine, sont mus par l’envie de voyager utile et curieux de découvrir des savoir-faire méconnus. Ils ont entre 14 et 30 ans, sont collégiens ou jeunes adultes, et c’est à travers la taille de pierre, la maçonnerie, la dévégétalisation ou encore le rejointement qu’ils comblent ces envies. Leur support ? Des églises, abbayes, châteaux, citadelles et autres monuments à l’abandon depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Leurs outils ? Mortier, pelles et marteaux en tous genres. Le tout, au service d’une mission : rénover le patrimoine, dans une ambiance bon enfant, style colonie de vacances – l’impact en plus.
Les jeunes de moins de 30 ans semblent, plus encore que la génération qui les précède, s’intéresser et s’atteler à la restauration du patrimoine bâti de leur pays. Et une formule les séduit tout particulièrement : celle des chantiers (parfois appelés camps) de rénovation, en une à trois semaines sur un ou plusieurs étés. Marie Guyonnet a participé l’été dernier à l’un de ces séjours dans l’Ain : pendant sept jours, l’infirmière aujourd’hui âgée de 28 ans a aidé à rénover l’église médiévale de Saint-Alban, fleuron du patrimoine de ce village de près de 200 âmes. Ladite semaine était organisée par l’association Arcade, mais la jeune femme avait déjà participé à ce type de restauration chez des particuliers. « J’ai toujours été sensible aux belles choses. J’aime beaucoup utiliser mes mains, faire de l’art plastique », explique-t-elle. Rien d’étonnant pour Brieuc Clerc, cofondateur d’Arcade, qui a, depuis 2019, permis de restaurer une trentaine de lieux en France : « On voit chez les jeunes une soif de se rendre utile en faisant quelque chose de ses mains, qui rencontre un engouement pour le patrimoine et les monuments. Et ils ont envie que ce travail ait un impact concret et direct. »
Chloé Le Bihan, directrice de chantiers de jeunes dans une autre association créée en 1952, le Club du Vieux Manoir, note elle aussi un engouement pour le patrimoine et sa restauration. Multiplication des chaînes YouTube et des comptes sur les réseaux sociaux qui font des travaux de rénovation, émissions télévisées, Loto du patrimoine ou encore « la figure de proue que représente Stéphane Bern » … La médiatisation de la pratique n’est pas étrangère à cet enthousiasme.
« J’en sors bien plus enrichie que si j’avais visité la région en simple touriste »
Autre explication : l’intérêt pour l’histoire, et plus particulièrement l’envie de s’inscrire dedans. Quoi de mieux pour ce faire que rénover une bâtisse du passé, qui nous précède et qui nous succédera grâce à notre travail ? Pour Brieuc Clerc, cette logique a été renforcée par l’incendie de Notre-Dame en 2019 : « Ça a jeté un coup de projecteur sur les enjeux du patrimoine, et donné envie aux jeunes d’être bâtisseurs à leur tour. »
En plus de s’intéresser à l’histoire, les jeunes veulent aussi connaître leur pays. C’est ce qui a motivé Paul Nechan Balian à participer à un chantier de rénovation deux étés consécutifs, en 2017 et 2018. Ce militaire de 28 ans a passé six semaines à aider à rénover l’église Saint-Jean à Meghri, dans le Syunik, en Arménie. D’origine arménienne, mais né en France, il était avant tout animé par l’envie de confronter sa vision du pays à la réalité. Et d’aider à faire (re)vivre son patrimoine : « Rénover cette église, c’était aider à pérenniser ce qui n’était alors qu’une ruine partiellement détruite datant du XIIIe siècle. Participer au projet qui lui redonnerait un souffle de vie a été quelque chose de très fort pour moi. »
Le tout, via une manière de voyager différente. « Je ne voulais pas vivre une expérience purement touristique, je voulais créer un autre lien avec les gens sur place » souligne Paul Nechan Balian. Même son de cloche chez Marie Guyonnet : « Quand on est touriste, on consomme. Là, on vient dans une dynamique différente. Cela éduque notre regard sur le patrimoine. J’en sors bien plus enrichie que si j’avais visité la région en tant que simple touriste. »
Créer du lien
Et il n’y a pas que l’expérience du participant au chantier qui diffère. La nature même du voyage modifie la perception qu’ont les locaux des bénévoles. L’accueil s’en trouve radicalement différent, « plus facile », pour Marie Guyonnet. L’association Arcade met tout particulièrement l’accent sur cet aspect : « Nos deux piliers sont la restauration du patrimoine et la restauration du lien social » appuie Brieuc Clerc. La matinée est réservée à la rénovation du bâtiment, alors que l’après-midi est destinée à des activités ou des visites, en lien avec la vie du village et de ses habitants. La restauration permet également de créer des groupes soudés autour d’un projet commun et fédérateur : « On a des profils timides, ou qui ont été harcelés à l’école. En plus de faire table rase du passé, le chantier permet de travailler dans un but commun qui les dépasse : le mortier que le groupe utilise pour les murs lie aussi l’équipe de bénévoles » souligne Chloé Le Bihan, du Club du Vieux Manoir.
Aucune compétence n’est demandée pour participer à ce type de chantier, ouvert, en fonction des associations, à partir de 14, 16 ou 18 ans. Et il est possible de s’y inscrire seul ou entre amis. Parmi les groupes, on retrouve toutes les tranches d’âge et une proportion plus ou moins égale de filles et de garçons. Le prix, enfin, constitue un avantage non négligeable. Les bénévoles d’Arcade prennent à leur charge leur trajet, 15 euros d’assurance, et « quelques euros par jour » pour l’intendance, en pension complète. Au Club du Vieux Manoir, les frais de séjour s’élèvent à 255 euros, auxquels s’ajoutent 30 euros de frais d’inscription et le trajet. Les bénévoles des chantiers organisés par l’Association Chantiers Histoire et Architecture Médiévales (C.H.A.M), déboursent eux 30 euros d’adhésion et 295 euros pour un camp de trois semaines, trajet non inclus.
Malgré l’intérêt qui leur est portés, les chantiers de restauration du patrimoine ont tout de même connu un léger coup d’arrêt avec la pandémie de Covid-19. Célia Le Blainvaux, directrice de séjour à la C.H.A.M, note une évolution dans les formes et les modes d’engagement : « L’engagement se vit comme quelque chose de plus ponctuel. Et les bénévoles reviennent de moins en moins sur plusieurs chantiers. Dans les premiers temps de l’association, certaines personnes pouvaient retourner sur des chantiers quinze ans d’affilée. » Marie Guyonnet, déjà réinscrite sur le même chantier l’été prochain. De quoi faire naître une vocation ? « Après ma semaine à l’église de Saint-Alban, je me suis demandé si je n’allais pas me reconvertir professionnellement. Aujourd’hui, ça reste un projet à moyen terme. »