comment faisait-on avant l’Eurostar ? On a refait le périple
LE VOYAGE EN TRAIN DU MOIS – Il a fallu attendre le 14 novembre 1994 pour relier les deux capitales grâce à un tunnel sous la Manche. Auparavant, un tel voyage impliquait de prendre deux trains et un ferry. Nous l’avons réalisé sur une journée entière, sur les rails et sur la mer. Récit.
Gare de Paris-Nord, un jour de septembre 1994. Dans le hall, l’immense tableau d’affichage à palette crépite, indiquant des départs de TER vers Amiens ou Compiègne, des EuroCity vers Bruxelles… Mais aucun train vers notre destination, Londres. Dans quelques semaines, la capitale britannique ne sera plus qu’à trois heures de Paris, comme le vantent les affiches publicitaires d’une toute nouvelle compagnie ferroviaire : Eurostar. À partir du 14 novembre 1994, ce train à grande vitesse reliera les deux capitales en empruntant le tunnel sous la Manche, inauguré quelques mois plus tôt. Prix du billet : à partir de 790 francs l’aller-retour, soit 191 € actuels en tenant compte de l’inflation.
Avant cette date, voyager entre les deux capitales sans avion relevait du périple. Au fil des décennies, les compagnies ferroviaires ont redoublé d’imagination pour faciliter la traversée de la Manche au moyen de combinaisons train-ferry-train, voire train-avion-train. Ainsi, dès 1956, «la SNCF s’associa avec la compagnie aérienne française Air Transport pour effectuer un vol entre Le Touquet et Gatwick, d’où les voyageurs prenaient un dernier train local pour Londres-Victoria», écrit dans un article richement documenté Frédéric de Kemmeter, spécialiste du transport ferroviaire. Malgré toutes les innovations, l’avion a demeuré pendant des décennies le moyen de transport le plus compétitif.
Tout change le 14 novembre 1994, date de circulation du premier Eurostar. Pour la première fois, des voyageurs peuvent relier le centre de Paris au centre de Londres sans avion ni bateau, sans rupture de charge et sans quitter son siège. Une révolution dans le transport ferroviaire dont nous avons voulu nous rendre en nous projetant 30 ans en arrière, dans un monde où le tunnel sous la Manche n’existe pas encore.
De Paris à Calais via la ligne classique
9h30, gare de Paris-Nord. Dans notre temporalité, la LGV Nord qui relie Paris à Calais via Lille n’est pas encore achevée. Le moyen le plus rapide de rejoindre le littoral est d’emprunter la ligne classique. Le trajet direct dure trois heures et nous fait passer notamment par Amiens, Le Touquet et Boulogne-sur-Mer. Avantage du TER : pas besoin d’arriver en gare une heure avant le départ. Nous embarquons quelques minutes avant le départ, sans les chronophages contrôles de sécurité et d’identité auxquels doivent se soumettre les passagers d’Eurostar.
12h28, gare de Calais-Ville. Juste le temps d’avaler un cornet de frites sur la place d’Armes, nous empruntons la navette gratuite Balad’in qui relie la gare au port de Calais. Sur les docks, des voies ferrées aujourd’hui recouvertes de pavés rappellent que le train conduisait les passagers directement au port jusqu’en 1995, année de fermeture de la gare de Calais-Maritime. Son emplacement est aujourd’hui occupé par un terminal de ferry spacieux et flambant neuf.
Dans son hall, des répliques de monoplans biplaces rappellent que Calais, avant de devenir un port majeur, eut un grand rôle dans l’histoire de l’aviation. Une petite exposition consacrée à Louis Blériot, premier à traverser la Manche en avion en 1909, nous occupe en attendant l’embarquement. Vers 14 heures, soit une heure avant de lever l’ancre, un bus emmène les piétons jusqu’à l’intérieur du ferry en passant au préalable par les contrôles d’immigration français et britanniques. Des démarches plutôt rapides : en tant que passager piéton, une file d’attente prioritaire nous est réservée.
Sur la voie maritime la plus fréquentée au monde
15h00, port de Calais. Des trois compagnies qui assurent les traversées entre Calais et Douvres, seule P&O Ferries accepte les piétons et uniquement sur trois départs quotidiens. Un signe que les passagers non véhiculés constituent une clientèle (très) résiduelle. Ce jour-là, nous ne sommes qu’une quarantaine de piétons à embarquer dans le Spirit of France. À côté, le flot de camions, voitures et autocars nous semble incessant. Alors que plus aucun Eurostar ne s’arrête à Calais depuis le Covid-19, le ferry apparaît comme la meilleure solution pour rejoindre les côtes du Kent depuis le littoral des Hauts-de-France.
Bars, duty free, salles de jeux d’arcade, espaces de jeux pour enfants… À bord, tout est fait pour ne pas voir le temps passer. La traversée du détroit du Pas-de-Calais, voie maritime la plus fréquentée au monde, se fait à la vitesse maximale de 22 nœuds (40 km/h) et dure seulement une heure et demie. Le Club Lounge, sur le pont 9, est offre un cadre reposant avec, en prime, repas et boissons à volonté inclus.
15h45, port de Douvres. Après un changement de fuseau horaire (nous reculons d’une heure), l’arrivée face aux falaises blanches du Kent est des plus impressionnantes. Là aussi, une navette emmène les piétons de l’intérieur du ferry au terminal. Faute de bus urbain, il nous faut tout de même marcher une trentaine de minutes pour rejoindre le centre-ville. Une balade qui permet d’apprécier les maisons colorées au pied des falaises et d’admirer de loin l’imposant château de Douvres. Dommage, le temps nous manque pour le visiter. Pour arriver à Londres en soirée, nous ne devons pas tarder à prendre un dernier train.
À travers la campagne du Kent
17h28, gare de Douvres-Priory. Au départ de Douvres, plusieurs itinéraires rejoignent la capitale. Le plus rapide, à peine une heure, emprunte la seule ligne à grande vitesse du Royaume-Uni, ouverte par étapes entre 2003 et 2007. Nous préférons la ligne classique sur laquelle les Eurostar circulaient jusqu’alors à leur sortie du tunnel. En un peu moins de deux heures, notre train de la Southeastern passe par Folkestone et Ashford en traçant à travers la paisible campagne du Kent. Les deux lignes, parallèles sur une partie du parcours, nous permet d’apercevoir à notre droite un Eurostar nous dépasser à 300 km/h.
19h21, gare de Londres Charing Cross. Juste après avoir franchi la Tamise, notre train arrive à son terminus, à quelques pas de Trafalgar Square et de la National Gallery. Commencé à Paris à 9h30, notre trajet sur rails et sur mer nous aura pris toute la journée, onze heures exactement. Notre retour sera beaucoup plus rapide : à 300 km/h, notre Eurostar mettra à peine 2h20 pour nous ramener à Paris, soit cinq fois moins de temps.
Carnet pratique
- Paris-Calais : environ 3 heures de trajet en TER, aller simple en plein tarif à 45,60 €. Réservations sur sncf-connect.com.
- Calais-Douvres : traversée avec P&O Ferries pour 37 €. Accès au lounge avec supplément de 30 €. Au départ de Calais, les passagers piétons peuvent embarquer uniquement dans les ferries qui partent à 9h50, 15h et 19h.
- Douvres-Londres : environ 2 heures de trajet avec la South Eastern Railway, aller simple à partir de 13,80 € .
- Paris-Londres en direct : 2 heures 20 minutes avec Eurostar, aller simple à partir de 39 €.
Pour organiser votre voyage, consultez le site de l’office de tourisme de Grande-Bretagne, visitbritain.com.
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