Rouvrir ou pas aux touristes : la valse-hésitation du Japon
L’archipel souffle toujours le chaud et le froid en cette rentrée. Tant et si bien que certains s’inquiètent déjà du nouveau visage que pourrait prendre le tourisme dans le pays.
Caramba, encore raté. Une fois de plus, les professionnels de l’«hospitalité» (voyage, hôtellerie, restauration) qui «vendent la destination Japon» étaient suspendus aux lèvres de Fumio Kishida mercredi dernier. Le premier ministre japonais devait annoncer, en conférence de presse, une accélération de la réouverture des frontières. Une fois de plus, pétard mouillé : il a seulement annoncé la fin du test PCR dans le pays de départ. Toutes les autres restrictions aux arrivées de visiteurs étrangers demeurent en place.
Fumio Kishida a bien évoqué un prochain relèvement du plafond d’arrivées, fixé à 20.000 entrées aujourd’hui, mais sans préciser ni sa date, ni son ampleur. «C’est épuisant. Non seulement l’ouverture se fait mesurette après mesurette, mais en plus, il faut compter avec les rumeurs de mesurettes !», se lamente Thierry Maincent, président de Japan Experience, spécialiste des séjours au pays du Soleil Levant.
Si une famille veut passer une nuit à l’hôtel, elle doit prévoir une chambre pour le guide. Ãa double tous les coûts d’hébergement. Et qui aujourd’hui veut voyager comme ça ?
Un voyagiste européen spécialiste du Japon
Le Japon avait fermé ses frontières en 2020 pour contenir l’épidémie de Covid-19. Il a bien entamé leur réouverture mais à pas si mesurés, et de manière si ambiguë, voire trompeuse, qu’il irrite autant qu’il suscite de l’espoir. Début mai, Fumio Kishida annonçait la réouverture aux touristes internationaux, promettant dès juin un mode d’entrée «similaire aux autres pays du G7». Un mois plus tard, première déception : seuls les groupes de touristes, au voyage organisé par une agence accréditée, dûment cornaqués par un guide, étaient autorisés.
«Ãa veut dire que si une famille veut passer une nuit à l’hôtel, elle doit prévoir une chambre pour le guide. Ãa double tous les coûts d’hébergement. Et qui aujourd’hui veut voyager comme ça ?», se demande un voyagiste européen, qui a souhaité conserver l’anonymat. La réponse : à peu près personne. En 2019, selon les chiffres de l’agence de tutelle JNTO, 2,3 millions de touristes entraient au Japon chaque mois. En juin 2022, ils étaient 252, et 7900 en juillet.
Pourquoi un tel ostracisme ? L’économie intérieure dans son ensemble souffre peu du manque de touristes étrangers. «Au Japon, il y a très peu d’endroits qui dépendent d’eux pour vivre. Les métropoles vivent sans eux. Les stations balnéaires aussi. En revanche, les domaines skiables, spécificité vraiment japonaise en Asie, souffrent beaucoup» estime Christian Mancini, du fonds d’investissement immobilier Savills, auteur d’une note sur le secteur nippon de l’«hospitalité». Mieux : la fermeture du Japon contribue sans doute en partie à la forme du tourisme intérieur. Les Japonais, échaudés à l’idée de suivre la pesante procédure d’entrée dans leur pays, voyagent à l’intérieur de leurs frontières. Actuellement, le nombre de nuitées d’hôtel est à 65-85% de ce qu’il était en 2019, selon Savills.
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La fin de l’exemption de visa ?
Une nouvelle inquiétude pointe chez les voyagistes en charge de la destination Japon : quelles seront les modalités de l’inéluctable «réouverture» des frontières ? Le Japon post-covid sera-t-il aussi accueillant que celui d’avant la pandémie ? Le cadre d’une compagnie aérienne confie par exemple craindre de voir le Japon mettre fin à l’exemption de visa pour les touristes étrangers. Jusqu’à l’arrivée du Covid-19, l’archipel s’est montré historiquement très accueillant envers eux. Pour les attirer, il avait dès 1951, dans sa fondatrice «ordonnance sur l’immigration», prévu d’exempter de visa pour les séjours courts les ressortissants d’un nombre croissant de nations.
Jusqu’à la pandémie, le Japon exemptait ainsi 68 pays (dont la France) de visa de tourisme. Or il vient de lancer la mise en place d’un «e-Visa» pour les séjours courts dont le coût est d’environ 3000 yens. Progrès ? à moitié : si le visa est «numérique», ses frais de dossier, eux, devront être acquittés⦠En personne, au consulat japonais, et en espèces ! Surtout, ce «progrès» se transformera à terme en reculade si le «e-Visa» payant est maintenu après la réouverture des frontières, car il aura remplacé l’exemption traditionnelle de visa, de fait gratuite et immédiate. «Pour l’instant, rien n’indique qu’ils ont pris une telle décision», temporise un fin connaisseur du JNTO, l’office de tourisme japonais. Affaire à suivre.