De la côte Vermeille à la Costa Brava, à la découverte du chemin des merveilles entre Collioure et Cadaqués


GRAND REPORTAGE – La côte Vermeille, dans les Pyrénées-Orientales, et, dans son prolongement, la Costa Brava, en Catalogne, irradient la lumière, éclaboussent de couleurs, enivrent de saveurs. Entre mer et montagne, Matisse, Derain, Maillol ou Dalí y découvrent un petit paradis.

Envoyés spéciaux

Lentement, la lumière illumine l’horizon. Le jaune paille, l’ocre rosé, le rouge vermillon effleurent le bleu profond de la Méditerranée. Bientôt, Collioure, sa jetée, l’église Notre-Dame-des-Anges, le château royal, la plage de Port d’Avall, les vignes en terrasses et les Albères, montagnes du pays, s’enflamment. Le village des Pyrénées-Orientales se réveille en couleurs et en harmonie.

En 1905, Henri Matisse (1869-1954) écrit dans le livre d’or de l’auberge des Templiers – l’institution locale : « Collioure, le bonheur des peintres. » Et quels peintres ! Henri Matisse donc, André Derain (1880-1954), les deux maîtres du fauvisme, premier grand mouvement artistique français du XXe siècle, puis Augustin Hanicotte, Raoul Dufy, Léopold Survage ou encore Édouard Pignon. Tous chérissent, réinventent, subliment Collioure et la côte Vermeille.

Époustouflés par la lumière blonde, des couleurs éclatantes, une longue étreinte entre la mer, la terre et la montagne, ils s’affranchissent de la réalité pour peindre leur ressenti sur le paysage, le portrait, le nu, la vie… par pointillés, taches ou aplats chargés de matière. Les Toits de Collioure ou La Fenêtre ouverte de Matisse, Collioure, le village et la mer ou Bateaux de pêche de Derain, leurs tableaux émotions pures invitent à musarder dans les ruelles tortueuses du quartier du Mouré bordées d’anciennes maisons de pêcheurs imbriquées les unes dans les autres.

La baie de Collioure.
Eric Martin / Le Figaro Magazine

À imaginer, sur la plage de Port d’Avall, des hommes construire des barques catalanes à la coque multicolore et à la voile latine immaculée, pour pêcher au large, au filet ou au lamparo (à la lumière), sardines et anchois. « À Collioure, tu naîtras. À la sardine ou à l’anchois, tu iras », promet-on. Mais, dans les années 1960, de puissants chalutiers remplacent les frêles embarcations, l’anchois se raréfie en Méditerranée.

Il faut naviguer vers le golfe de Gascogne ou l’Atlantique Sud pour le capturer. Chef japonais du 5e Péché, un restaurant confidentiel de Collioure, Masashi Iijima magnifie encore et toujours le petit poisson bleu, fusionne également l’agneau rouge du Roussillon, l’artichaut violet, l’abricot, la cerise de Céret avec le nori, le saké, le yuzu, le thé vert. « En 2005, ma femme et moi avons eu un vrai coup de cœur pour le village, la mer et les mille et une façons de travailler le poisson frais, se souvient-il. Pourquoi ne pas composer des voyages gourmands entre le pays catalan et le pays du soleil levant, dans notre propre restaurant ? »

De Matisse à Dufy, tous chérissent, réinventent, subliment Collioure et la Côte Vermeille

À 650 mètres d’altitude, la tour Madeloc (XIIIe siècle), ancienne vigie sur la Méditerranée et la frontière espagnole, baigne dans un ciel céruléen, plonge dans la mer à l’infini, scrute le littoral pour apercevoir des voiles blanches à l’ancre ou en partance. Retenues par des murets de pierres sèches, les vignes strient et dévalent les collines. Dorées par le soleil, balayées par la tramontane et le vent marin, travaillées à la main, elles produisent des vins rouges, blancs, rosés aux arômes intenses ou des vins doux naturels : les collioures et banyuls.

De la Côte Vermeille à la Costa Brava

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L’ivresse des sens dans une explosion de couleurs

Plus au sud, à Port-Vendres, Max Rovira, le père, et Pitu, sa fille, artistes peintres autodidactes, installent leurs chevalets, préparent leurs acryliques, libèrent leur imagination dans une ancienne graineterie. L’un esquisse des cœurs en rouge, noir ou gris et profile des personnages sans visage. L’autre figure des têtes, à coups de pinceau, de pastel gras, de bombe aérosol jaune, rouge, bleu intense.

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« Au début, j’étais inclassable, avoue Max Rovira. Aujourd’hui, moins contrarié, bien dans ma vie, je m’inspire de la nuit, de la mer, de la pêche. Dans mes personnages, je cherche l’épure, la légèreté. Mes créations représentent mes autres enfants. Je partirai avec elles. » « Bernard Buffet et Jean-Michel Basquiat m’ont très tôt attirée, poursuit Pitu. Grâce à mon père, qui m’a transmis la technique et la maîtrise des couleurs, je sais, je sens quand l’équilibre est bon, quand le tableau suscite une émotion. »

Avec Petit pêcheur, Cœur dans la nuit, Souvenir ou Les Soleils, L’Étoile, Les Heureux, père et fille jouent la spontanéité, la densité, les regards croisés pop art-art brut. Pas à pas, le sentier littoral mène au phare du cap Béar, lumière sur la côte depuis 1905. Ici, des millions d’années stratifient les sédiments, plissent les roches, taillent les falaises, modifient les perspectives.

Une barque catalane dans la baie de Banyuls-sur-Mer.
Eric Martin / Le Figaro Magazine

Chaos de roches brunes

Le vent, parfois hurlant, emporte tout sur son passage et les Albères se jettent brutalement dans la mer. Seules les essences du maquis (pin maritime, bruyère, lavande, romarin) distillent leurs parfums délicats et de rares casots (abris de vigneron) rappellent le travail de l’homme. En contrebas, l’anse Sainte-Catherine éparpille sable et galets au bord d’une eau turquoise bénie des plongeurs.

Au fond d’une baie plus lointaine, rehaussée d’œuvres monumentales du maître, Banyuls-sur-Mer se souvient d’Aristide Maillol (1861-1944). Le peintre, graveur, céramiste, lissier puis sculpteur y est né, y a vécu. Entre la « Maison rose » du cap d’Osna inondée de soleil et La Métairie, le mas alangui sous les micocouliers, cyprès et figuiers de la vallée de la Roume. « Je resterais des jours entiers devant le paysage, écrit-il. Tout est si calme, si apaisant ! À côté de moi, du papier… De temps en temps, je saisis le crayon et je dessine une idée qui passe… Puis, je reprends le repos. »

L’oeuf, symbole de la renaissance sur le toit de maison-musée de Dalí, à Portlligat.
Eric Martin / Le Figaro Magazine

L’artiste repose à jamais sous Méditerranée, le bronze d’une femme pensive presque abandonnée, chef-d’œuvre de sensualité. Le col des Balistres et l’ancien poste-frontière entre la France et l’Espagne franchis, la route de la Costa Brava ondule entre villages et vignes, criques, plages et ports enserrés. « Mon pays est si petit qu’il peut tenir tout entier dans le cœur », chante Lluís Llach, l’auteur-compositeur-interprète catalan.

À ce « País petit », Paco Pérez, chef doublement étoilé du Miramar, à Llançà, est viscéralement attaché. « Dans mes assiettes, je souhaite partager la mer, la montagne, la délicatesse, l’émotion, confie-t-il. Offrir du plaisir, des surprises, des sourires et de bons souvenirs. » À base d’ingrédients coups de cœur, de couleurs véritables, de subtiles textures et saveurs.

Dans la Mar d’Amunt, du cap Cerbère au cap de Creus, tout oscille entre frontière et côte sauvage, tout palpite sous le soleil, la lune et la tramontane qui souffle trois, six ou neuf jours, « tout nous enracine, Montse, ma femme, et moi, note Paco Pérez. Chaque jour, la Mar d’Amunt nous donne envie de créer et de garder intacts nos rêves d’enfants, la magie de la vie ». De poursuivre aussi la belle histoire de Julia Cisnero et d’Alfonso Cerda, les grands-parents de Montse Serra. Un jour de 1939, au voyageur français, client de leur restaurant, qui leur demande une chambre, ils prêtent volontiers la leur et dorment sur la plage… avec le projet d’ouvrir un petit hôtel-restaurant dans ce village de pêcheurs.

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Au cap de Creus, un phare élevé en 1853 domine un chaos de roches brunes et rougeâtres où l’eau et le vent sculptent des cavités, des arches, des îles et îlots, des chameaux, aigles et tortues imaginaires, où le myrte, le genévrier et le lichen apportent des nuances de blanc, pourpre, orangé et mêlent leurs senteurs aux embruns, où les puffins des Baléares, les cormorans huppés et les sternes forment des arabesques sur les flots. Dalí dessine, Gala décore…

La baie de Cadaqués.
Eric Martin / Le Figaro Magazine

À peu de distance, au nord de Cadaqués, à Portlligat précisément, Salvador Dalí (1904-1989), maître du surréalisme, et Gala, sa muse et compagne, inventent, en 1930, un nid d’amour et de paix, loin de Paris et de New York. « Je me suis construit sur ces graviers : c’est ici que j’ai créé ma personnalité, découvert mon amour, peint mon œuvre, bâti ma maison, raconte Dalí. Je suis inséparable de ce ciel, de cette mer, de ces rochers, lié pour toujours à Portlligat. »

À partir d’une cabane de pêcheur agrandie, au fil des ans, en une succession de petits espaces d’ombres et de lumières, d’escaliers labyrinthiques et d’un jardin avec patio et piscine, Dalí dessine et Gala décore une maison-atelier intime, artistique, fantasmagorique. De son lit, il s’enorgueillit d’être le premier Espagnol à voir le soleil se lever. Dans son studio, il réalise les deux versions de Madone de Portlligat, L’Apothéose du dollar, La Pêche au thon… Dans la salle ovale, il reçoit Walt Disney, Humbert de Savoie, Sophie et Juan Carlos d’Espagne. De son jardin-oliveraie limité par la Voie lactée, une allée-promenade, il embrasse une anse, une plage, des rochers « où le réel et le sublime se touchent presque ».


Carnet de voyage

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Pyrénées-Orientales Tourisme (Tourisme-pyreneesorientales.com) propose découvertes, activités et gourmandises, entre mer et montagne.

Tourisme de la Catalogne Costa Brava (Costabrava.org/fr) et (Catalunyaexperience.fr) pour les incontournables et les insolites de la région.

NOTRE SÉLECTION D’HÉBERGEMENTS

Les Roches Brunes.
ERIC MARTIN

Les Roches Brunes (04.11.30.07.55 ; Hotel-lesrochesbrunes.com). Accroché
à la falaise, ce boutique-hôtel-restaurant s’ouvre sur Collioure et la Méditerranée. En transparence et authenticité, il accorde une halte chic et charme. À partir de 170 € la nuit.

Les Cabanons de Mémé Jeannette (06.11.21.67.48 ; Memejeannette.com). En balcon sur la Méditerranée, enfouis dans les vignes, ces 4 cabanons (avec ou sans jacuzzi extérieur) offrent la vie au grand air. À partir de 130 € la nuit, petit déjeuner inclus.

Les Elmes (04.68.88.03.12 ; Hotel-des-elmes.com). Depuis 1960, une même famille développe l’art d’accueillir et de nourrir dans un hôtel-restaurant-spa au bord d’une plage privée de Banyuls-sur-Mer. À partir de 90 € la nuit.

Belvédère du Rayon Vert
ERIC MARTIN

Belvédère du Rayon Vert (06.08.31.17.79 ; Hotel-belvedere-cerbere.fr). À Cerbère, cet hôtel bâti entre 1928 et 1932, tel un paquebot de béton amarré, retient le temps où Mistinguett s’y produisait ; Orson Welles y séjournait, dans l’attente d’un visa pour l’Espagne. À partir de 130 € la nuit.

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Eric Martin / Le Figaro Magazine

Miramar (00.34.972.380.132 ; Restaurantmiramar.com). Juste au-dessus de leur restaurant, Paco Pérez et Montse Serra ont voulu 5 suites empreintes de la singularité de la Mar d’Amunt. Une réussite ! 300 € la suite.

Mas Lazuli (00.34.872.222.220 ; Hotelmaslazuli.es). Loin du littoral, entre vignes et oliviers, ce couvent du XIe siècle devenu hôtel-restaurant-spa procure un vrai dépaysement. À partir de 190 € la chambre, petit déjeuner inclus.

Maison Nova (04.68.05.02.20 ; Maisonnova-collioure.com). Le 25 juin, Brice Sannac, propriétaire des Elmes, à Banyuls-sur-Mer, ouvre un boutique-hôtel 4 étoiles avec piscine et spa sur les hauteurs de Collioure. Le concept ? Une ancienne demeure sublimée, 13 suites signées par des artistes locaux, un havre de confort, de durabilité et de paix. À partir de 234 € la nuit.

NOS BONNES TABLES

Le 5e Péché
ERIC MARTIN

Le 5e Péché (04.68.98.09.76). L’art et la manière de révéler le meilleur de
la Catalogne et du Japon. Menu dès 18 €.

Le Poisson Rouge.
Eric Martin / Le Figaro Magazine

Le Poisson Rouge (04.68.98.03.12 ; Lepoissonrouge66.free.fr). Vous
ne venez pas ici par hasard, mais pour le phare du môle de Port-Vendres, chef-d’œuvre métallique de 1885, ou pour François Rémi, hôte de ce restaurant de bric et de broc. Le détour en vaut la chandelle. Plat à partir de 19 €.

Le Fanal (04.68.98.65.88 ; Pascal-borrell.com). Arrimé au port de plaisance de Banyuls-sur-Mer, Pascal Borrell, chef étoilé, cuisine traditions et créations avec les trésors de la région et de la Méditerranée. Savoureuse escale. Menu « Retour de marché » à 32 € et 42 €.

Els Pescadors (00.34.972.38.01.25 ; Restaurantelspescadors.com). À Llançà, la mer est le potager de Lluís Fernandez. Alors inutile d’aller goûter ailleurs
la langouste du cap de Creus. Il la cuisine divinement. Prix selon le cours du jour.

Compartir (00.34.972.258.482 ; Compartircadaques.com). En 2012, Oriol Castro, Mateu Casañas et Eduard Xatruch ont créé Compartir. Une table gastronomique autour de la Méditerranée, d’un produit roi, d’une préparation traditionnelle et moderne, de plaisirs à partager. Délicieuse adresse de Cadaqués. Menu « Compartir » à 80 €.

VISITER

Musée Maillol (04.68.88.57.11 ; Museemaillol.com). La Métairie – maison-atelier que Maillol a tant aimée – abrite un petit musée où peintures, lithographies, bronzes, terres cuites, objets personnels et photographies retracent la vie de l’artiste.

Maison-musée Salvador Dalí (00.34.972.251.015 ; Salvador-dali.org). Sur réservation et en petits groupes, la visite de la maison-atelier-jardin de Salvador Dalí et de Gala à Portlligat permet d’entrer dans l’intimité de la vie et de l’œuvre du peintre. À ne pas manquer.

RAPPORTER

La Mer Blanche (06.15.10.59.40 ; La-mer-blanche.fr). Frédéric Bey, agriculteur bio, et Tarek Laktaf, spécialiste des cocktails, élaborent avec leurs propres agrumes des liqueurs fruitées, puissantes et suaves. Le soleil en bouche.

Domaine du Mas Boutet (06.14.90.52.51 ; Masboutet.com). Sur de rugueuses collines, Isabelle et Gildas Girodeau récoltent, trient, effeuillent, lavent, moulinent l’olivière, la picholine, la lucques, la picual, l’argudell pour produire des huiles d’olive fruité vert ou fruité noir.

Anchois Roque (04.68.82.04.99 ; Anchois-roque.com) et Maison Desclaux (04.68.36.14.32 ; Anchois-desclaux.com). En matière d’anchois préparés au sel, à l’huile, en saumure, etc., deux conserveries familiales se partagent le marché : Anchois Roque depuis 1870 et Maison Desclaux depuis 1903.

Domaine Piétri-Géraud (04.68.82.07.42 ; Domaine-pietri-geraud.com). Dans ce domaine datant de la fin du XIXe siècle comme dans les caves installées au cœur de Collioure, les femmes perpétuent les traditions et le savoir-faire des collioures et banyuls, notamment.



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