pourquoi les Français skient moins longtemps
DÉCRYPTAGE. Cet hiver encore, les Français passent moins de temps sur les pistes. Et cela pourrait s’accentuer.
Une dernière piste rouge avec les deux adolescentes infatigables ? Ou un chocolat chaud coiffé d’une généreuse couche de chantilly en terrasse au pied du télésiège ? Il y a quelques années encore, Stéphane n’aurait pas hésité. Mais la semaine dernière, ce quadragénaire «fou de ski» a déchaussé vers 15h30. « Je skie toujours toute la semaine mais moins longtemps à la journée qu’avant», admet celui qui a dévalé ses premières pentes dans le Massif central dès l’école primaire. Il passe désormais ses vacances d’hiver dans le vaste domaine des 3-Vallées, en Savoie, quadrillé par 600 km de pistes. «Suivre les enfants, c’est un sacré rythme. Et puis je profite différemment des sports d’hiver, mon épouse aussi. On traîne un peu en terrasse au soleil, on regarde les autres activités, on retrouve des amis…»
Malgré les aléas climatiques et des prix qui enflent chaque année un peu plus, le ski reste le premier déclencheur d’achat pour nos compatriotes qui séjournent en altitude. Un Français sur 7 enfile des spatules chaque hiver selon le dernier baromètre «montagne multi-saison» d’Atout France. Mais la pratique a évolué. Elle est moins intense. Et le temps libéré oriente davantage de vacanciers vers le «multi-activité». « On glisse peu à peu d’une logique d’activité sportive à un loisir au sens large où l’on s’accorde du temps pour profiter de la montagne en fonction de son budget, de la qualité de la neige…», diagnostique Laurence Garcia, directeur de la station de Peyragudes, dans les Pyrénées.
Chiffres trompeurs
Les cathédrales des Alpes, moins frappées par les difficultés d’enneigement, dressent le même constat : « Dans l’esprit des gens, la montagne l’hiver est associée à des vacances actives et de remise en forme mais avec moins de temps de ski et une notion de plaisir plus importante », corrobore Sébastien Mérignargues, directeur de l’office de tourisme de l’Alpe d’Huez, en Isère.
À première vue, les chiffres sont trompeurs. « Un skieur emprunte les remontées mécaniques 10 à 15 fois par jour, ce chiffre est stable depuis 15 ans», rapporte Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France (DSF), l’organisme qui représente les exploitants de remontées. « Ce qui a changé en revanche, c’est que les capacités et le débit des appareils ont fortement augmenté : l’on passe beaucoup moins de temps dans les files et dans les appareils».
Sachant que la grimpette en télésiège ou télécabine constitue aussi du temps de repos entre deux descentes, tous les professionnels convergent vers le même constat : 3 ou 4 heures de descente aujourd’hui équivalent aux 5 à 6 heures d’il y a encore quelques années. «Les cuisses chauffent plus vite», euphémise Sébastien Mérignargues.
Le dénivelé accumulé a augmenté de 10% en 20 ans
Sébastien Mérignargues, directeur de l’office de tourisme de l’Alpe d’Huez
De multiples facteurs expliquent l’atrophie du temps de ski. Les capacités XXL des nouvelles remontées mécaniques ne diminuent pas seulement les temps de récupération. «Elles emmènent aussi les skieurs toujours aussi haut, sinon plus», appuie Sébastien Mérignargues. Sur les 568 millions d’euros investis cet hiver par l’ensemble des domaines skiables français, la majeure partie a été engloutie par les infrastructures comme le Jandri Express et ses 148 M€ aux Deux-Alpes, en Isère.
Ce titan avale les 1480 m de dénivelé (de 1650 m aux contreforts du glacier à 3200 m) en 17 minutes désormais. Contre 40 auparavant. Il double au passage son débit avec une capacité de 3000 personnes par heure. Résultat, si le nombre de descentes par jour et par skieur reste stable autour de dix environ, «le dénivelé accumulé a lui augmenté de 10% en 20 ans», calcule Sébastien Mérignargues.
Bruno Mazodier
Boulevard
Plus vite, plus haut… et plus fort pourrait-on dire en paraphrasant la devise de Pierre de Coubertin et Pierre-Henri Didon, à l’approche des Jeux Olympiques dans les Alpes françaises. Car si l’on a moins de temps pour «récupérer», la technique même de ski alpin est devenue plus exigeante. «Les skis paraboliques demandent plus d’efforts et de technique pour les virages en carving, alors qu’auparavant on dérapait», expose Yves Dimier, directeur de la station de Val Cenis, en Savoie. Pour cet ancien slalomeur de haut niveau les «bons skieurs fatiguent donc plus vite. En revanche, je ne constate pas une baisse du niveau physique moyen.»
«Toute notre innovation produit tend vers ce mix performance et plaisir, intervient le patron de la marque Rossignol, Vincent Wauters. Les équipements doivent être plus intuitifs et fluides et s’adapter aux différentes pistes et manteaux neigeux.» Le directeur de l’ESF des Menuires (Savoie), Jean-Sébastien Lainé, évoque aussi l’évolution du profil des pistes. «Le travail de damage est fantastique, c’est du billard désormais, argumente-t-il. Les pistes sont devenues plus larges et permettent aux skieurs de tous niveaux de s’exprimer. Aujourd’hui, n’importe qui ou presque peut monter à 2800 m, il trouvera une piste de niveau intermédiaire.»
Les pistes rouges ou noires «à l’ancienne» avec des bosses ont beaucoup moins la cote… « Les pistes bleues et vertes représentent 60% du trafic à l’Alpe d’Huez», confirme Sébastien Mérignargues. Les embouteillages sur l’intimidante piste noire du Tunnel, l’un des spots qui fait la renommée de la station de l’Oisans, sont beaucoup plus rares…
Décharge de stress
Eric Martin
Dans le cabinet d’ostéopathie de Juliette Lagondet, à La Plagne (Savoie), qui a accueilli jusqu’à 150 patients par semaine en février, la hausse de l’accidentologie est néanmoins importante, à l’image des chiffres nationaux de l’hiver dernier. Le signe d’une discipline plus gourmande en ressources physiques ? Pas seulement. «J’ai à faire à beaucoup plus de vacanciers stressés au travail, dans la vie en général, souffle-t-elle. Et certains veulent décharger leur stress sur les pistes, préjugeant de leurs capacités ou négligeant les facteurs de risque comme la fréquentation importante.»
Il faut dire que les Français attendent beaucoup de leurs vacances aux sports d’hiver. « Même pour les plus actifs, la journée peut être abrégée à 15 heures sur les pistes et se poursuivre en salle de sport, à la piscine…», relève Sébastien Mérignargues en évoquant les grandes infrastructures pluri-disciplinaires comme Agoralp à l’Alpe d’Huez, dont sont nantis certains domaines. Ils accueillent du public à l’année. Et donc en hiver. «Les jours de mauvais temps, on peut vite opter pour la baignade ou le confort de son appartement si l’on dispose d’un hébergement haut de gamme», constate Yves Dimier (Val Cenis).
Loup et Gypaète barbu
Anne Marmottan
La recherche de bien-être se prolonge dans les activités de plein air autres que le ski de descente. Au menu : contempler, découvrir, savourer… Philippe Desmurger qui organise depuis 18 ans des «randos aventures» en traîneaux à chiens à Orcières, dans les Alpes du sud, voit avec satisfaction la clientèle de la station profiter en nombre du magnifique plateau de Rocherousse (2300 m), bien enneigé, ouvert sur un large panorama et accessible via une remontée. Le genre de spot que les stations mettent volontiers en avant, désormais. «Cela fait 6 à 7 ans qu’on voit de plus en plus de monde, des skieurs qui se laissent une demi-journée de libre, des vacanciers curieux de découvrir l’environnement de la station».
Même la très skieuse Tarentaise voit les envies du public s’élargir. « Les clients me disent qu’ils aiment moduler les activités raquettes, spa…On voit moins la mentalité de recherche de performance au ski qu’il y a quelques années», estime Thomas Pin, accompagnateur en raquettes dans la station-village de Sainte-Foy-Tarentaise. Ce Vauclusien d’origine a lancé son activité il y a cinq ans. Il guide des groupes de 3 à 12 personnes à la demi-journée ou 6 heures d’affilée entre les sapins. Et enregistré la meilleure semaine de son histoire le 15 février dernier. « Les gens s’intéressent beaucoup plus à l’environnement, au lieu où ils se trouvent, se réjouit-il. Je suis naturaliste de formation ils adorent me poser des questions sur le loup, que l’on trouve dans le secteur, ou le Gypaète barbu.»
Repas gastronomique et terrasse au soleil
Sylvain terret Ideal x Armani
D’autres stations développent avec succès des formules plus épicuriennes, rognant encore le temps passé sur les pistes. À l’image de la chic Megève. «Les gens ne viennent pas seulement skier, on n’assiste pas à l’embouteillage du petit-déjeuner à 8 heures dans nos établissements», décode Marie Sibuet, directrice générale de Maisons & Hôtels Sibuet, qui compte trois hôtels dans la station haut-savoyarde.
«D’abord, l’offre de restaurants plus ou moins festifs s’est fortement développée d’autant que le village vit toute l’année et accueille régulièrement ses résidents secondaires. Ensuite, le bien-être occupe une place prépondérante depuis 20 ans», souligne-t-elle. Les spas accueillent une clientèle de plus en plus large, hommes compris. Et les soins ne se cantonnent pas à la récupération musculaire d’après-ski ou au visage. «Nos offres holistiques ont trouvé leur public. On vient ici aussi pour un parcours de soin complet.»
Cookie XXL
Le temps «libéré» ou la recherche de plaisirs gastronomiques jugés moins coupables à ces altitudes profitent aussi aux belles tables, dont Megève s’est fait une spécialité. La montée en gamme est spectaculaire, dans le village comme sur les pistes. «La clientèle cherche à passer un bon moment en famille ou entre amis en profitant d’une authenticité propre à la montagne», rappelle Emilie Pignol, directrice marketing de Four Seasons Hotels and resorts dans la station, qui compte aussi le restaurant d’altitude « Ideal 1850 », au Mont d’Arbois. La réputation de cet établissement ne repose pas seulement sur les plats soignés. «Nous disposons d’une vaste terrasse avec vue sur le Mont-Blanc, c’est cette combinaison que les gens apprécient en se sentant à l’aise pour savourer un bœuf bourguignon, une tartiflette ou notre burger signature», note-t-elle. Résultat, les skieurs, rejoints par les non pratiquants, peuvent rester attablés très longtemps… Ou revenir au goûter savourer par exemple le nouveau «cookie XXL», lancé cet hiver, marquant une nouvelle rupture dans le temps passé sur les pistes.
Un retour en arrière est bien improbable. . À Val-Cenis aussi, le nombre d’établissement sur les pistes a explosé. «Nous comptons un tiers de restaurants d’altitude supplémentaire en 5 ans, sans qu’ils aient cannibalisé l’offre existante», assure Yves Dimier. «Et les cartes se sont toutes étoffées et diversifiées même si on trouve toujours le saucisses-frites». Pour combien de temps encore ?
En vidéo – Quelles sont les pistes de ski les plus techniques des Alpes françaises ?